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L’escalade des violences en Papouasie remet en lumière un conflit oublié

L'exécution d'au moins 16 ouvriers d'un chantier routier en Papouasie signe une escalade des violences dans la province pauvre et…

L’exécution d’au moins 16 ouvriers d’un chantier routier en Papouasie signe une escalade des violences dans la province pauvre et isolée de l’Est de l’Indonésie, marquée jusque-là par des affrontements sporadiques entre rebelles indépendantistes et l’armée.

Les analystes craignent une aggravation du conflit entre les forces armées, accusées par les ONG d’exactions sur la population mélanésienne, et des groupuscules rebelles peu armés mais retranchés dans la jungle de cette île du Pacifique.

La province indonésienne de Papouasie est située à l’ouest de l’île de Nouvelle Guinée, dont l’autre moitié est partagée par la Papouasie-Nouvelle Guinée, ancienne colonie australienne devenue indépendante.

L’armée déployée cette semaine dans le district montagneux de Nduga, où l’attaque s’est déroulée dimanche, a retrouvé 16 corps. Mais le bilan pourrait encore monter alors que les informations filtrent peu à peu de cette zone très difficile d’accès.

Sur une page Facebook, un groupuscule indépendantiste, l’Armée de libération nationale de l’ouest de la Papouasie (TPNPB), a revendiqué l’attaque, disant avoir exécuté 24 ouvriers.

Ils ont été tués « parce qu’ils étaient des membres de l’armée indonésienne déguisés. Ce sont nos ennemis », a déclaré à l’AFP Sebby Sambom, porte-parole de TPNPB. « C’est la guerre. Il s’agit de tuer ou d’être tué », a-t-il justifié.

– des infrastructures mal vues –

Les ouvriers indonésiens construisaient une portion de l’axe routier Trans-Papouasie, un projet d’infrastructure majeur auquel s’opposent de nombreux Papous qui y voient la mainmise économique de Jakarta.

« Il n’y a jamais eu d’attaque de cette ampleur par la guérilla séparatiste », a souligné Damien Kingsbury, professeur de politique internationale à l’université australienne de Deakin.

« Les accès de violence les plus massifs avaient jusqu’ici été le fait de l’armée indonésienne ».

Le conflit dans la province riche en ressources naturelles remonte à la fin de la colonisation hollandaise au début des années soixante, et s’est exacerbé à mesure que la population dénonce sa marginalisation et des exactions. La Papouasie est le « trou noir de l’Indonésie en matière de droits de l’homme », selon un rapport d’Amnesty international.

Alors que l’Indonésie a accédé à l’indépendance en 1949, les Pays-Bas ont gardé la main sur la Papouasie jusqu’en 1962. Sous pression de l’administration américaine qui craignait une contagion du communisme dans la région, le territoire a été placé sous l’administration temporaire de l’ONU en 1962 puis a été cédé à l’Indonésie avec la promesse d’un référendum d’autodétermination.

Un groupe d’un millier de Papous, dont certains ont rapporté avoir voté sous la menace, s’est prononcé en 1969 pour rester au sein de l’Indonésie. Si pour Jakarta ce vote règle la question papoue, il est vu comme une manipulation sans valeur par beaucoup ailleurs.

Pour les quelque 3 millions de Papous, dont la culture est très différente du reste de l’archipel, l’Indonésie est vue comme une puissance coloniale qui veut les déposséder de leurs terres ancestrales.

Depuis son élection en 2014, le président indonésien Joko Widodo a pourtant multiplié les efforts pour accélérer le développement de la province. Mais ces projets pourraient arriver trop tard, selon les analystes.

« Si la Papouasie fait partie de l’Indonésie, elle aurait dû bénéficier d’infrastructures comme les autres régions », souligne Adriana Elisabeth, experte à l’Institut indonésien des Sciences (LIPI). Or, négligés depuis des décennies, les Papous ne sont pas « fiers » d’être Indonésiens, remarque-t-elle.

Le fossé est apparu clairement avec une pétition l’an dernier signée par 1,8 million de Papous pour demander, sans succès, à l’Onu un vote d’autodétermination.

L’attaque pourrait signaler un tournant vers plus de violences dans la stratégie des rebelles, craignent des analystes, même si le mouvement armé apparaît divisé entre clans et sans commandement central.

– peu de soutien à l’étranger –

Le Mouvement de la Papouasie libre (OPM), organisation ombrelle qui regroupe des mouvements pro-indépendantistes politiques et armés, bénéficie de très peu de soutien à l’étranger à part quelques nations mélanésiennes.

Les velléités d’indépendance de la Papouasie « n’ont pas reçu beaucoup de soutien parce que l’Indonésie est un acteur important au niveau international avec beaucoup d’alliés », relève Damien Kingsbury.

Si la rébellion s’est engagée cette semaine à lutter jusqu’à obtenir l’indépendance, l’Indonésie ne montre aucun signe de vouloir négocier.

« Le gouvernement ne veut pas entamer des négociations d’indépendance », observe Adriana Elisabeth, l’Indonésie « a trop investi en Papouasie ».

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