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Libérés de l’EI, les enfants de minorités d’Irak seuls face à leurs démons

Psychologiquement brisés, les enfants enlevés par le groupe Etat islamique (EI) peinent à se reconstruire à leur retour en Irak,…

Psychologiquement brisés, les enfants enlevés par le groupe Etat islamique (EI) peinent à se reconstruire à leur retour en Irak, dans des communautés traumatisées et désarmées face à des années d’endoctrinement.

En 2014, ces garçons et filles, yazidis et turkmènes pour la plupart, ont été enrôlés de force ou vendus comme esclaves.

Aujourd’hui de retour, ils subissent le manque criant de ressources et peinent à se réintégrer dans des communautés plus enclines à la méfiance qu’au pardon face à tout ce qui leur rappelle leurs bourreaux.

A 10 ans, Lama, Yazidie revenue de Syrie il y a quelques mois, a déjà tenté plusieurs fois de se suicider. Elle a pointé des couteaux sur son ventre, s’est balancée dangereusement depuis des fenêtres, raconte, désemparée, sa mère Nisrine, qui témoigne sous un nom d’emprunt.

– « Jamais comme les autres » –

« J’ai peur que Lama ne soit jamais comme les autres enfants yazidis », lâche cette Irakienne de 34 ans, alors que sa fille a déjà menacé de s’enfuir avec son cousin Fadi, lui aussi revenu de l’enfer du « califat » autoproclamé.

Aujourd’hui, avec Fadi et Karam, un autre cousin, tous habillés de noir, ils se réfugient dans des jeux vidéos violents. Entre eux, ils parlent arabe –appris dans les familles jihadistes qui les ont achetés aux marchés aux esclaves– et ne reviennent au Kurde qu’avec Nisrine.

« Ils leur ont lavé le cerveau. Ils deviennent agressifs quand ils parlent arabe. Ils disent qu’ils aimeraient revenir auprès de l’EI », raconte encore cette Yazidie à l’AFP.

Pour les organisations humanitaires, 1.324 enfants ont officiellement été enlevés en Irak entre 2014 et 2017, mais elles soupçonnent un chiffre bien plus élevé.

Personne ne sait exactement combien sont revenus et surtout où ils sont aujourd’hui, ballottés dans des communautés où des familles entières ont été décimées.

– « Des jours et des mois » –

Sur les centaines d’enfants rentrés en Irak, des dizaines sont dans des orphelinats et des centres d’accueil. D’autres en détention avec pour seul soutien psychologique des cours de rééducation religieuse. Le reste, la vaste majorité, grandit dans les camps de déplacés.

Dans la province de Dohouk, où se trouvent la plupart des camps yazidis, il n’y a « aucun pédopsychiatre », affirme à l’AFP Nagham Hasan, gynécologue yazidie qui depuis 2014 tente de pallier ce manque avec ses maigres moyens.

Comme partout, les minorités sont lésées, souligne Mia Bloom, spécialiste des enfants-soldats. Yazidis et Turkmènes « ont moins de fonds publics et doivent s’appuyer sur des initiatives locales », explique-t-elle à l’AFP.

Or, les courtes sessions de soutien psychologique des écoles des camps de déplacés ne sont pas adaptées à l’ampleur de l’endoctrinement.

« Des organisations gagnent de l’argent sur notre dos », accuse, furieux, Baba Chaouich, dignitaire yazidi. « Elles prétendent offrir un soutien psychologique mais qui peut penser soigner quelqu’un qui a passé cinq ans avec l’EI en cinq minutes? », s’interroge-t-il. « Il faudra des jours et des mois pour les reconstruire ».

La tâche la plus simple est la prise en charge des très jeunes enfants, qui ont moins de souvenir de la vie sous l’EI, et des adolescents qui « ont emmagasiné des souvenirs d’enfance heureux avant le conflit et pourront s’y raccrocher », explique Mme Bloom.

– Changer de regard –

Mais ceux qui, comme Lama et Fadi, ont été enlevés durant les années cruciales de leur développement intellectuel, et ont oublié la vie dans leur communauté, que l’EI leur a appris à haïr car considérant les Yazidis comme des « adorateurs du diable ».

« Il faut réalimenter leur identité religieuse », prône Mme Bloom.

Pour cela, leurs communautés vont devoir changer leur regard sur ces enfants vus par beaucoup comme des jihadistes en puissance, estime Laila Ali, porte-parole de l’Unicef, qui rencontre régulièrement dignitaires religieux et tribaux.

Le plus grand défi, explique-t-elle, « n’est pas tant le vécu de ces enfants mais le regard négatif porté sur eux par les adultes ».

Quant à ceux décidés à les accepter, ils sont seuls et désarmés, comme Nisrine, qui lutte déjà contre son propre traumatisme après deux ans aux mains de l’EI et se désole que ses enfants n’aient aucun accompagnement.

« On est enfermés sous notre tente jour et nuit », dit-elle.

« Si quelqu’un pouvait les sortir du camp quelques heures, je pourrais me reposer et eux, apprendre des choses ».

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