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Madagascar: la guerre électorale fait rage aussi sur les ondes

Pendant des mois, ils ont bombardé les électeurs de leurs discours et leurs slogans. Les médias privés des deux finalistes…

Pendant des mois, ils ont bombardé les électeurs de leurs discours et leurs slogans. Les médias privés des deux finalistes de la présidentielle malgache se sont tus mardi pour respecter la traditionnelle trêve de veille de scrutin, mais leur silence sera de courte durée.

Au coeur de la capitale Antananarivo, le siège du groupe Viva TV/FM affiche sans détour la couleur. Orange, celle de son propriétaire et prétendant à la magistrature suprême, Andry Rajoelina.

Au milieu d’un entrelacs de rues poussiéreuses, le seul bâtiment flambant neuf du quartier d’Ambodivona a déroulé sur sa façade un portrait géant du candidat.

T-shirt à l’effigie l’ancien président (2009-2014) de rigueur, la directrice de Viva soupire. « On est épuisés, vivement que ça se termine », sourit Rinah Rakotomanga, « on n’a pas lésiné sur les moyens ».

Depuis des mois, le coeur de sa chaîne, télévision et radio confondues, bat au seul rythme de la campagne électorale.

Bulletins d’information, débats, réunions publiques en direct, Viva a bouleversé ses grilles pour devenir une redoutable machine de guerre électorale au service des ambitions politiques de son PDG.

Plus de 80 journalistes, techniciens et cadres, des installations dernier-cri, la chaîne achetée en 2007 par le publicitaire alors inconnu qui s’apprêtait à rafler la mairie d’Antananarivo a dépensé sans compter.

Combien ? Mystère… « On a beaucoup investi mais je n’ai pas de chiffre en tête », balaie la patronne.

– Fanatiques –

Avec succès, apparemment. Andry Rajoelina, 44 ans, a viré en tête du premier tour de la présidentielle avec 39,23% des voix, devant son « père ennemi » Marc Ravalomanana, 69 ans, crédité de 35,35%.

Dans un pays en majorité rural, télé hertzienne et radio restent incontournables, même à l’heure des réseaux sociaux.

« La communication, c’est le nerf de la guerre », explique en journaliste chevronnée Rinah Rakotomanga. Mais elle nie que Viva soit un média de propagande.

« A Viva, on n’est pas des fanatiques. Bien sûr, on soutient un candidat mais on reste pros, on parle de l’autre candidat », s’offusque-t-elle. « Aujourd’hui, presque tout le monde regarde Viva, même nos adversaires ».

Son concurrent de Malagasy Broadcasting Corporation (MBC), la chaîne de Marc Ravalomanana, s’en amuse.

« Ils sont bien plus agressifs que nous », lâche le directeur, Joël Ralaivahoita. « Et puis ils ont bien plus de moyens. Nous, on redémarre à peine ».

A le comparer à celui, étincelant, de Viva, le quartier général de MBC ferait presque pitié. Un hall gigantesque mais désert, des couloirs et des bureaux largement vides. Dans la régie, un technicien surveille d’un œil distrait la diffusion d’un « soap opera » mielleux.

A l’extérieur, des bâtiments éventrés portent encore les stigmates de l’histoire tumultueuse de la chaîne. En 2009, ils ont subi les foudres des manifestations pro-Rajoelina qui ont contraint M. Ravalomanana à la démission.

Muette pendant son exil jusq’en 2014, MBC n’a été autorisée à reprendre ses émissions qu’en juin. Juste à temps pour soutenir son patron.

– Manipulations –

« C’est une chaîne généraliste mais qui a comme objectif, dans la période électorale actuelle, d’aider le fondateur à faire passer son message », explique Joël Ralaivahoita, « on réussit à couvrir 15 des 22 régions du pays ».

Avec ses trente journalistes, MBC s’efforce de contrer la puissance de feu de Viva. Son budget est, lui aussi, confidentiel mais son orientation partisane assumée.

Féroces concurrents, les patrons des deux chaînes ont fait cause commune en avril pour empêcher, avec succès, le vote d’une loi obligeant les médias privés à respecter un équilibre du temps de parole entre candidats.

Dans un pays où 30% des adultes sont analphabètes, la toute-puissance médiatique des deux finalistes fait grincer les observateurs internationaux et hurler l’opposition.

« Notre population n’est pas éduquée. Elle boit littéralement tout ce qui se dit à la radio ou la télévision », déplore l’ex-ministre de l’Education et candidat malheureux au premier tour Paul Rabary. « C’est le début de toutes les manipulations ».

« Peu d’électeurs peuvent analyser le discours politique », renchérit Emée Ratsimbazafy, de l’ONG KMF/CNOE pour l’éducation des citoyens, « ils obéissent d’abord à des réflexes clientélistes (…) les dons de nourriture et d’argent des candidats pèsent lourd dans leur choix ».

Les patrons de chaînes n’en ont cure. Dès la clôture du scrutin mercredi, ils referont la réclame de leur champion pour une autre bataille. Celle des résultats.

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