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Nicaragua: assiégée, Masaya la rebelle enterre ses morts

La ville de Masaya au Nicaragua, auto-déclarée en rébellion, a commencé mercredi à enterrer ses morts alors que continue l'offensive…

La ville de Masaya au Nicaragua, auto-déclarée en rébellion, a commencé mercredi à enterrer ses morts alors que continue l’offensive des forces du gouvernement de Daniel Ortega, confronté à une vague de contestation qui a fait près de 190 morts en deux mois.

L’assaut, lancé mardi matin, a provoqué au moins trois morts dans cette commune de 100.000 habitants, située à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale Managua et devenue l’épicentre des violences.

« C’est horrible, on ne peut plus vivre en paix, les gens sont en train de mourir à cause de ce gouvernement qui ne peut pas partir », a confié à l’AFP Ramona Aleman, femme au foyer de 40 ans, au cimetière du nord de Masaya où l’on enterrait Marvin Lopez, tué d’une balle dans la gorge.

Dans la ville, des tirs d’armes à feu et de mortiers artisanaux résonnaient en milieu de journée, tandis que les agents anti-émeutes enlevaient avec des pelleteuses les barricades montées par les habitants.

Edgar Taleno, charpentier de 35 ans, a raconté comment, avec ses camarades, il a dû se faufiler pour échapper aux tirs afin d’évacuer le corps de Marvin Lopez.

« C’est l’anarchie totale, nous demandons à la communauté internationale de nous soutenir. Ici on ne peut plus vivre, il sont en train de massacrer un peuple sans armes », a-t-il témoigné.

A l’enterrement, les participants ont chanté l’hymne national et crié « assassins » contre le gouvernement, lançant des tirs de mortiers artisanaux en hommage aux victimes.

– Hôtel incendié –

Des groupes de partisans du président Ortega ont incendié à l’aube l’hôtel Masaya, a dénoncé devant la presse Cristian Farjado, l’un des meneurs du mouvement d’étudiants ayant déclenché la vague de contestation et dont la famille possède l’établissement.

« Ils sont entrés, ils ont versé de l’essence à l’intérieur, ils ont roué de coups mon oncle pour le faire sortir et lui ont frappé la tête avec les crosses des fusils AK47 qu’ils portaient », a-t-il affirmé.

Des fusillades et attaques à main armée ont aussi été signalées par la population dans les villes de Jinotepe, Leon, Matagalpa et Esteli.

« Ce sont des situations de violence extrême où les limites sont déjà dépassées », a dénoncé à l’AFP Marlin Sierra, directrice exécutive du Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh), qui a dénombré 187 morts et plus de 1.000 blessés en deux mois.

Masaya, ville connue historiquement pour sa combativité, s’était déclarée lundi en rébellion contre le président Daniel Ortega, un ex-guérillero de 72 ans au pouvoir depuis 2007 après l’avoir déjà été de 1979 à 1990.

Le lendemain, des agents anti-émeutes et des groupes paramilitaires sont arrivés dans la commune, fortement armés, vêtus de noir et encagoulés.

La vice-présidente Rosario Murillo, épouse du président, a prévenu que ce dernier est « déterminé à freiner cette vague terroriste, de crimes haineux, d’enlèvements, de menaces et d’intimidation ».

Marlin Sierra, du Cenidh, s’est dite inquiète de cette attitude: « Nous sommes très préoccupés car nous voyons qu’il y a une volonté politique de l’Etat de pousser vers une guerre civile ».

– « SOS pour le Nicaragua » –

L’assaut sur Masaya est survenu au lendemain de la suspension par la Conférence épiscopale du dialogue entre les deux parties, qui devaient notamment aborder l’organisation d’élections générales anticipées en mars 2019 (au lieu de fin 2021) dans ce pays, le plus pauvre d’Amérique centrale.

L’Eglise, comme médiatrice, exige que le gouvernement invite « d’urgence » les organisations internationales de défense des droits de l’homme à enquêter sur les violences commises, conformément à un accord conclu vendredi dernier.

A Genève, trois militants nicaraguayens ont dénoncé mercredi, devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’attitude du président Ortega qui « a profité de ce dialogue national pour augmenter les niveaux de répression et de violence », selon le sociologue Denis de Jesus Darce, de la Commission permanente des droits de l’homme (CPDH) du Nicaragua.

A ses côtés, Marcos Carmona, président du CPDH, a lancé un appel à la communauté internationale: « Les Nicaraguayens sont totalement impuissants et nous lançons au monde un SOS pour le Nicaragua. Nous ne voulons plus de bains de sang ».

Le Parlement européen, Amnesty international ou encore l’ONU ont dénoncé la répression exercée par les forces de l’ordre.

Mardi soir, le département d’Etat américain a encore mis en garde: « Les États-Unis condamnent les actes de violence et d’intimidation commandités par le gouvernement ».

Mercredi, Carlos Trujillo, représentant de Donald Trump auprès de l’Organisation des États américains (OEA), doit rencontrer le président Ortega.

Les manifestations ont démarré le 18 avril, au départ contre une réforme de la sécurité sociale – depuis abandonnée – avant de devenir un vaste mouvement pour réclamer plus de libertés et exiger le départ du président Ortega.

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