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Nicaragua: des opposants détenus dans une prison symbole de la dictature de Somoza

Depuis plusieurs jours, Maria Magdalena Saldana s'est attachée par la taille avec une chaîne dorée au portail d'El Chipote, la…

Depuis plusieurs jours, Maria Magdalena Saldana s’est attachée par la taille avec une chaîne dorée au portail d’El Chipote, la plus tristement célèbre prison du Nicaragua.

Et elle promet d’y rester, sans nourriture, buvant seulement de l’eau, jusqu’à ce que le gouvernement de Daniel Ortega libère son fils, arrêté sans explication au cours d’une descente de police à son domicile.

« Je suis une mère désespérée. Que le monde sache ce qu’une mère nicaraguéenne endure », se lamente-t-elle, tenant en main la décision d’une Cour d’appel de Managua ordonnant la libération de son fils, qui n’a pas été appliquée selon elle.

Le 12 juin, la police a arrêté son fils Wilder Octavio Garcia Saldana, 37 ans et l’a amené dans la prison El Chipote, qui surplombe la capitale Managua au milieu d’une végétation luxuriante.

Son fils est l’une des 2.000 personnes incarcérées dans cette prison à la réputation de brutalité depuis qu’a débuté en avril un soulèvement populaire contre Daniel Ortega, un ancien révolutionnaire qui a dirigé le pays de 1979 à 1990 après avoir évincé le dictateur Anastasio Somoza, puis de nouveau depuis 2007.

« Le seul crime, je pense, que mon fils a commis est d’avoir manifesté », assure Maria Magdalena en référence aux manifestations antigouvernementales durement réprimées, qui ont fait 178 morts depuis le 18 avril dans le pays le plus pauvre d’Amérique centrale.

« Il a levé le drapeau du Nicaragua, le symbole de notre paix. Nous voulons la liberté », dit cette mère qui a rejoint des dizaines de personnes protestant contre l’emprisonnement de leurs proches et amis.

– « torture » –

El Chipote a servi autrefois de centre névralgique de la dictature militaire de la dynastie politique des Somoza, qui utilisait la torture pour mater toute rebellion.

Daniel Ortega lui-même a été détenu dans ce complexe alors qu’il combattait dans la guerrilla sandiniste qui a renversé Anastasio Somoza en 1979.

Mais une fois au pouvoir, il a décidé de maintenir la prison à la sinistre réputation, simplement rebaptisée.

Pour les Nicaraguéens d’aujourd’hui, les cellules sombres de la taille d’un placard suscitent les même peurs que sous la dictature de Somoza. Les avocats spécialisés dans les drois de l’Homme et des familles accusent Ortega d’y emprisonner des milliers d’opposants politiques.

Le Centre Nicaraguéen des Droits de l’Homme (Cenidh) a reçu en un seul jour des dizaines de témoignages dénonçant « des détentions illégales avec passage à tabac, avec des traitements cruels, inhumains et dégradants, et avec des signes évidents de torture perpétrée par la police nationale », selon un avocat du Cenidh, Braulio Abarca.

Certains des détenus n’ont pas plus de 15 ans, selon lui.

A quelques pas de Mme Saldana, Anastacia Morales Centeno, 96 ans, pleure son petit-fils Bernardo, abritée du soleil par un parapluie. Il a été jeté dans un camion par des paramilitaires au service du président un matin à l’aube.

– « Arrestations massives » –

Au début du soulèvement populaire, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a documenté « des arrestations massives et arbitraires ».

Des détenus sont dépouillés de leurs possessions, privés d’eau et de nourriture, selon la CIDH, certains soumis à des coups.

« La police est au service d’une famille et du pouvoir », s’insurge le directeur juridique de la Cenidh, Gonzalo Carrion. Lui qui n’avait que 18 ans quand les Sandinistes ont renversé Somoza, est choqué par la « tragédie » de ces derniers mois.

L’influente conférence des évêques au Nicaragua a annoncé vendredi que le gouvernement avait accepté d’inviter des observateurs des droits de l’Homme indépendants pour enquêter sur les violences dans le pays.

Opposition et gouvernement vont tenter de reprendre lundi le fragile fil du dialogue national. Ils examinent une proposition de l’Eglise catholique, qui joue le rôle de médiateur, d’organiser des élections générales anticipées en mars 2019, soit deux ans avant l’échéance prévue.

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