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Nigeria: Iswap et Boko Haram, deux factions aux stratégies opposées

Iswap et Boko Haram, deux factions jihadistes rivales dans le nord-est du Nigeria, ont démontré en l'espace de 24 heures,…

Iswap et Boko Haram, deux factions jihadistes rivales dans le nord-est du Nigeria, ont démontré en l’espace de 24 heures, lors de deux nouvelles attaques spectaculaires, des modus operandi radicalement différents, même si les stratégies des uns et des autres peuvent encore évoluer, selon des experts.

D’un côté, le triple attentat-suicide de dimanche soir contre des supporters de football, qui a fait au moins 30 morts et 40 blessés à Konduga (Etat du Borno), portait clairement la marque du leader historique de Boko Haram, Abubakar Shekau.

Ce dernier est connu pour recourir aux kamikazes – surtout des femmes et des enfants – lors d’attaques sanglantes visant des lieux publics et pouvant faire un maximum de victimes civiles.

De l’autre, la base militaire de Gajiram (Borno) mise à sac, ses occupants en déroute, face à des combattants lourdement armés et aux méthodes de plus en plus sophistiquées: une attaque comme l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) en a mené des dizaines depuis un an dans la région du lac Tchad.

Autrefois rassemblées sous le label unique « Boko Haram », qui a lancé il y a dix ans une insurrection visant à établir un califat islamique dans le nord du Nigeria, les deux factions ont divorcé à l’été 2016.

L’Iswap d’Abou Musab Al Barnaoui – leader tombé depuis en disgrâce -, fut adoubé par le groupe Etat islamique, signifiant la mise à l’écart de Shekau, à la personnalité tyrannique contestée en interne et aux méthodes jugées trop brutales à l’égard des civils musulmans.

– Soutien local –

En 10 ans, l’insurrection dans le Nord-Est et sa répression par l’armée nigériane ont fait plus de 27.000 morts et 1,8 million de personnes ne peuvent toujours pas regagner leur foyer.

Tandis que les hommes restés fidèles à Shekau continuent d’opérer dans leurs bastions, autour de la forêt de Sambisa et des Monts Mandara, dans la zone frontalière avec le Cameroun, la branche dissidente a privilégié les rives du lac Tchad, plus au nord, jusqu’au Niger où elle est également active.

Avec une stratégie radicalement différente: « en comblant les lacunes en termes de gouvernance et de services, (l’Iswap) a réussi à susciter un certain soutien des populations locales », note ainsi un rapport du centre d’analyse International Crisis Group (ICG) publié en mai.

Le groupe « creuse des puits, surveille les vols de bétail, fournit un minimum de soins de santé (…). Dans les communautés qu’il contrôle, les taxes imposées sont généralement acceptées par les civils », après des années d’abandon par l’Etat dans l’une des régions les plus pauvres au monde, poursuit l’ICG.

Et malgré certaines exactions contre les civils, les offensives de l’Iswap visent essentiellement des bases militaires, où le groupe récupère armes et véhicules.

A Gajiram, où au moins 15 soldats ont été tués lundi soir, les jihadistes ont pillé les stocks de nourriture, mais « ils n’ont blessé aucun civil et n’ont fait aucune tentative pour attaquer les gens qui s’étaient réfugiés dans la brousse ou chez eux », a confirmé à l’AFP un habitant, Mele Butari.

– « Revenir dans le jeu » –

En revanche des dizaines de soldats ont été tués depuis un an dans la région. Face au manque de moyens, le moral des troupes est au plus bas et les désertions se multiplient.

« L’Iswap contrôle totalement le lac Tchad (…). Aucun de ses leaders n’a été arrêté et aucun de ses camps démantelé », notamment à Duguri, Marte, Kukawa et Ngala, où vivent les principaux commandants, confie à l’AFP un milicien engagé avec l’armée dans la lutte contre le groupe jihadiste.

Face à cette montée en puissance, la faction de Shekau, affaiblie par le manque de moyens et d’hommes (ICG estime ses effectifs entre 1.500 et 2.000, contre 3.500 à 5.000 pour l’Iswap), a cherché à occuper le terrain médiatique en publiant une série de communiqués et de vidéos récemment.

L’attentat-suicide du week-end dernier à Konduga, l’un des plus meurtriers depuis des mois, pourrait surtout être une façon pour Shekau de « revenir dans le jeu », estime Jacob Zenn, chercheur à la Fondation Jamestown, un institut basé à Washington.

« L’Iswap n’a aucun problème opérationnel sur le terrain, mais fait face à une crise de leadership interne » depuis l’éviction en mars d’Abou Musab Al Barnaoui par les partisans d’une ligne plus dure, et l’assassinat quelques mois auparavant de son bras droit, Mamman Nur.

Dans ce contexte, « il est possible que Shekau veuille se poser en option ».

Pour Jacob Zenn, « une réunification reste tout à fait possible », à condition que la centrale de l’organisation Etat islamique ne s’y oppose pas. Les rivalités comme les alliances peuvent changer « rapidement », au gré des ambitions jihadistes.

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