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Nigeria: la privatisation de l’industrie du pétrole est-elle possible?

A quelques semaines de l'élection présidentielle au Nigeria, premier producteur de pétrole du continent africain, le principal candidat de l'opposition,…

A quelques semaines de l’élection présidentielle au Nigeria, premier producteur de pétrole du continent africain, le principal candidat de l’opposition, Atiku Abubakar, a fait la promesse de privatiser la compagnie pétrolière nationale, cette « organisation mafieuse ». Une promesse qu’il aura bien du mal à tenir s’il est élu.

Abubakar, qui fut vice-président d’Olusegun Obasanjo de 1999 à 2007, a affirmé avoir déjà tenté à l’époque de mettre fin au fonctionnement opaque de la société nationale des hydrocarbures (NNPC), réputée être la caisse noire des gouvernements successifs, ainsi que de la compagnie nationale d’électricité.

« A moins de démanteler ces organisations mafieuses, nous ne pourrons pas progresser. Privatisons-les », a-t-il affirmé lors d’une conférence sur l’économie organisée mercredi à Lagos.

« Je m’engage à mener ces privatisations. Je jure que même s’ils veulent me tuer, je le ferai », a-t-il ajouté.

Le président Muhammadu Buhari, en lice pour sa réélection lors du scrutin du 16 février prochain, avait été élu pour combattre la corruption, le « cancer » qui gangrène ce géant de 180 millions d’habitants.

« En ce qui concerne la corruption, le président a fait du mieux qu’il a pu », affirme le secrétaire d’Etat au Pétrole, Emmanuel Kachikwu, dans un entretien avec l’AFP.

– Climat de peur –

Fin 2017 toutefois, Kachikwu dénonçait l’opacité, le tribalisme et « le climat de peur » qui règnent au sein de la NNP, depuis que le président y a placé un de ses proches, Maikanti Kacalla Baru.

En avril dernier, il avait également dénoncé la politique de subventions d’Etat pour réduire le prix de l’essence à la pompe, affirmant que le gouvernement nigérian dépense 3,9 milliards de dollars chaque année.

En réalité, la NNPC qui a désormais un contrôle total sur les distributeurs, est accusée par les organismes de la société civile de surévaluer de manière « astronomique » et non justifiée le nombre de litres d’essence consommés dans le pays et donc de récupérer davantage d’argent du gouvernement via ses subventions.

« Le monopole de la NNPC sur la distribution de l’essence n’est pas une situation idéale et doit cesser », affirme M. Kachikwu. « Ca serait déjà une manière de réduire une part de la corruption dans ce secteur. »

« Si l’on continue comme ça, le pays va faire faillite », regrette le Secrétaire d’Etat.

Cet actuel membre du gouvernement répond directement au portefeuille de Muhammadu Buhari, auto-désigné ministre du Pétrole en même temps que chef de l’Etat. Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, il tient aujourd’hui le même discours que le candidat de l’opposition.

Ancien numéro 2 d’Exxon Mobil pour l’Afrique, et sans aucune carrière ni réseau politiques avant de faire partie du gouvernement de Buhari, M. Kachikwu estime qu’il faudrait 25 à 30 milliards de dollars d’investissements pour redynamiser l’industrie et augmenter la production à 4 millions de barils par jour.

Mais cela ne peut passer, selon lui, qu’à travers la privatisation de la NNPC et la libéralisation du secteur dans son ensemble.

« Personne n’a besoin que le gouvernement fasse des affaires », assène-t-il. « Et aujourd’hui, la NNPC contrôle tout, des pipelines à la vente, en passant par l’exportation ».

Elle semble contrôler également le gouvernement, incapable de mettre en oeuvre une politique de réformes de cette institution sur-puissante, par laquelle transite environ 50% du volume total d’or noir produit (soit environ 1 million de barils jour).

– Discours de campagne –

« Parler de privatisation de la NNPC, c’est un discours de campagne en direction des investisseurs étrangers », tranche Benjamin Augé, spécialiste des questions énergétiques à l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Mais cela n’a aucun écho électoral et ça ne règle pas le problème de l’allocation de la vente de l’essence, le coeur des pratiques de corruption. »

En effet, chaque année, la NNPC désigne une série de traders en charge d’exporter le brut. Et chaque année, selon les gouvernements successifs, de nouveaux noms ou de nouvelles compagnies, parfois totalement inconnues, apparaissent sur les listes.

Ces pratiques d’enrichissement massif pourraient diminuer avec la création d’une nouvelle raffinerie locale, comme l’a promis maintes et maintes fois le milliardaire nigérian Aliko Dangote, pour diminuer la part d’exportation du brut.

Annoncée en 2013, la raffinerie devrait produire 400.000 barils d’essence par jour (contre 100.000 actuellement pour un pays de 180.000 millions d’habitants). « Mais le lobby des traders est tellement puissant, qu’on peut même douter que ce projet puisse voir le jour », estime Benjamin Augé.

« Démanteler » la NNPC semble loin d’être réalisable tant les intérêts de chacun sont importants et les sommes en jeu astronomiques. Sans compter que, historiquement, les gouvernements se sont servis de l’institution pour récompenser leurs soutiens et se maintenir au pouvoir.

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