InternationalAFP




Nigeria: le gouvernement veut-il lutter contre les ‘fake news’ ou museler les médias?

Le gouvernement nigérian a annoncé cette semaine vouloir mettre en place des mesures plus strictes pour réguler les médias et…

Le gouvernement nigérian a annoncé cette semaine vouloir mettre en place des mesures plus strictes pour réguler les médias et lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux, dans un contexte de restriction de la liberté d’expression qui inquiète grandement la société civile.

Qualifiant « les discours de haine et les ‘fake news' » de « cancer » qui représente « un danger tangible et imminent » pour le pays, le ministre de la Communication Lai Mohammed s’est engagé à prendre des mesures « pour renforcer la Commission Nationale de Diffusion » (National Broadcasting Commission, NBC), l’autorité nationale en charge de la régulation des médias.

Un nouveau code des médias, établi en juillet dernier et approuvé par le président Muhammadu Buhari, prévoit une « amende de 5 millions de nairas », contre 500.000 actuellement, pour « indécence, incitation à la violence ou discours haineux ».

La NBC a publié cette semaine les grandes lignes du nouveau code. Parmi elles figure le fait que « la police ou d’autres agences de sécurité assistent le régulateur pour s’assurer que les stations (de télévision ou de radio) restent fermées lorsque leur licence a été suspendue ».

Le ministre a ajouté vouloir s’attaquer désormais à la propagation de la désinformation sur les réseaux sociaux.

« Si nous ne nous concentrons pas sur ce domaine, notre combat contre les ‘fake news’ ne sera pas total », a-t-il asséné. « Nous nous inspirerons de ce qui est fait dans d’autres pays, comme à Singapour par exemple ».

A Singapour, la nouvelle loi pour combattre les infox est très large et a déjà suscité de très vives critiques, note Samuel Ejiwunmi, chercheur nigérian spécialisé dans la propagation des infox, pour l’Université de Lagos. « Il est très facile pour le gouvernement d’interpréter ce qu’il considère être une ‘fake news’ ou non ».

Au Nigeria, qui occupe la 120e place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières, « il est certain que de telles mesures vont affecter le journalisme et la liberté de la presse dans son ensemble », estime ce spécialiste de la désinformation et des médias.

« D’autre part, le gouvernement dit vouloir assainir le paysage médiatique en forçant les radios ou TV en ligne à obtenir des licences, et les menace, dans le cas contraire, de les fermer, mais cela montre qu’il ne sait pas comment marche internet », explique le chercheur. Les fondateurs d’un site internet « n’ont pas besoin d’être dans le pays, et donc échappent de fait à toute régulation nationale », rappelle-t-il.

– Arrestations –

Ces discours virulents inquiètent les défenseurs de la liberté de la presse, d’autant que quelques heures après les déclarations du ministre, deux journalistes ont été arrêtés dans l’Etat de Kwara (ouest) pour un article publié en mai 2018.

Gidado Shuaib, rédacteur en chef du site d’information News Digest, et son employé Adebowale Adekoya, ont été interpellés à leur domicile par des agents de sécurité en tenue civile pour s’expliquer sur un article intitulé « enquête sur une usine de Kwara où fumer de l’herbe est légal », avant d’être relâchés plusieurs heures plus tard.

D’après la presse locale, l’usine en question appartiendrait à l’ancien gouverneur de la Banque Centrale du Nigeria.

« Les journalistes d’investigation sont des patriotes qui devraient être célébrés et non arrêtés sur des accusations frauduleuses ou molestés », a dénoncé le groupe nigérian de la société civile Civil Society Legislative Advocacy Centre (CISLAC).

« Les autorités devraient s’abstenir de ces pratiques qui s’apparentent à la dictature », s’est insurgé le groupe basé à Abuja.

De son côté, Amnesty International, qui avait publié un rapport à la mi-octobre pour dénoncer « les attaques contre la liberté d’expression », dit surveiller de près les nouvelles dispositions gouvernementales sur les médias et les réseaux sociaux.

« Nous sommes témoins actuellement d’une accélération de mesures d’intimidation et de musellement des journalistes et des citoyens nigérians dans leur ensemble », a confié à l’AFP Isa Sanusi, porte-parole d’Amnesty au Nigeria, qui rappelle que 17 journalistes ont été arrêtés pour la seule année de 2019. « C’est inacceptable ».

Suivez l'information en direct sur notre chaîne