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Nigeria: « Voter, OK, mais où est l’argent? », demandent les électeurs pauvres

"Nous ne sommes pas contents!", dénonce Fatu Aluko en brandissant son bracelet "APC" (parti au pouvoir). A quelques jours de…

« Nous ne sommes pas contents! », dénonce Fatu Aluko en brandissant son bracelet « APC » (parti au pouvoir). A quelques jours de la présidentielle de samedi au Nigeria, où achats de voix et corruption font partie intégrante du jeu politique, beaucoup de partisans se plaignent de n’avoir pas été récompensés par leurs partis.

« J’ai travaillé pour (le président Muhammadu) Buhari, battu le pavé ici et là pendant la campagne, mais je n’ai pas reçu d’argent », affirme cette commerçante de 64 ans sur un marché de Lagos, membre du Congrès des progressistes, qui assure que d’ordinaire elle aurait reçu « au moins deux à trois mille nairas » (5 à 7 euros).

Le scrutin présidentiel, qui se tiendra samedi en même temps que les législatives, opposera notamment le président sortant, candidat à un second mandat pour l’APC, et son rival du Parti démocratique populaire (PDP, principal parti d’opposition), Atiku Abubakar.

Dans le pays le plus peuplé d’Afrique (190 millions d’habitants) et premier producteur d’or noir du continent, où la majorité de la population vit avec moins de deux dollars par jour, les élections sont l’une des rares occasions de voir l’argent redescendre vers ceux qui en ont le plus besoin. Même si cela fausse totalement le jeu démocratique.

– Crise économique –

Un candidat aux législatives tenait par exemple un petit meeting pour remobiliser ses électeurs mercredi dans un quartier populaire de la capitale économique, après le report à samedi prochain, du scrutin initialement prévu le 16 février.

L’occasion pour Tike et ses voisins, une centaine au total, de se partager quelque 50.000 nairas : « Les gens se battaient, mais seuls ceux qui présentaient leur carte d’électeur ont reçu du cash », raconte le jeune homme. Les autres ont dû se contenter de riz, de calendriers ou de casquettes aux couleurs du parti.

Electeurs lambda, responsables de partis, observateurs étrangers… Tout le monde s’accorde sur un point : « Il y a moins d’argent » que d’habitude et donc moins d’ardeur populaire depuis le début de la campagne pour ces élections générales.

« En 2015, c’était la folie. L’argent coulait à flots, toute une économie allait avec les élections, les sociétés remportaient des contrats énormes pour produire les gadgets de campagne… », raconte à l’AFP un collaborateur du gouverneur de Lagos, sous couvert d’anonymat. « Cette année ça ne va pas, on a dû réduire drastiquement nos budgets ».

La récession économique est en effet passée par là. Le pays se relève douloureusement de la chute des cours du baril et d’une vague d’attaques rebelles sur ses infrastructures pétrolières dans le Delta il y a deux ans, qui a plombé la croissance, rappelle Matthew Page, chercheur associé au centre d’études londonien Chatham House.

« L’administration actuelle (APC) n’a pas pu consolider le même stock de liquidités que le PDP lorsqu’il était au pouvoir » de 1999 à 2015, estime-t-il.

– Enchères –

Autre facteur possible: la lutte anticorruption menée par la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC) sous Buhari, qui traque désormais les comptes et les transferts bancaires des candidats et de leurs entourages.

Cela « effraie tout le monde », à commencer par l’opposition, note Sa’eed Husaini, analyste au cabinet Control Risks à Lagos. « C’est un tournant majeur, toutes les transactions doivent se faire en cash désormais ».

Du cash, il en faudra pourtant – et beaucoup – le jour du vote. « L’achat de voix est encore très courant au Nigeria, et nous ne sommes pas prêts d’en voir la fin », raconte Abiodun Baiyewu, directrice pays de l’ONG Global Rights Nigeria. « Les gens n’ont aucune confiance en leurs dirigeants, alors ils vendent leur vote parce que de toutes façons, ils savent qu’il ne compte pas ».

Jimmy représente les jeunes dans son quartier défavorisé de Lagos, et raconte comment il s’apprête à faire monter les enchères le matin du scrutin, dans la cour du bureau de vote.

Comme à chaque fois, des intermédiaires des principaux partis viendront le voir pour négocier un « tarif », qu’il devra ensuite redistribuer à ses « gars » à condition qu’ils s’engagent à voter pour tel ou tel camp, une fois dans le secret de l’isoloir.

« Plus la course est serrée entre les candidats, plus les enjeux sont élevés, et plus il y a d’argent », se réjouit-il en sirotant une bière devant un match de ligue des Champions. « Celui qui mise le plus gros gagne ».

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