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No future: entre manque d’argent et censure, le rock vénézuélien en sourdine

La pluie s'est invitée à Caracas. Pas de quoi doucher l'humeur protestataire du groupe de reggae Novanout qui chante devant…

La pluie s’est invitée à Caracas. Pas de quoi doucher l’humeur protestataire du groupe de reggae Novanout qui chante devant le public d’une des dernières scènes dédiées à la musique alternative vénézuélienne qui, outre la crise économique, doit affronter la censure.

« Rien ne nous arrête! », dit fièrement à l’AFP Julio Zamora, après être descendu de la scène du « Festival des nouveaux groupes », un concours national qui, dans sa phase finale, fait défiler douze formations de rock, de punk et de reggae devant l’exigeant public de Caracas.

Dans les années 1980 et 1990, la capitale vénézuélienne était une des places fortes de la bouillonnante galaxie rock « en español » où des groupes tels que Caramelos de cianuro (Bonbons au cyanure) ou Sentimiento muerto (Sentiment mort) n’hésitaient pas à faire la nique à leurs aînés — et à la classe politique — sur la scène du club Mata de Coco, aujourd’hui fermé.

« Politicos paraliticos » (Politiciens paralytiques) chantait ainsi en 1988 Desorden publico (Désordre public), le groupe de ska-rock le plus connu du Venezuela, dénonçant la corruption à la radio.

Mais aujourd’hui, qu’il soit sagement remuant ou franchement contestataire, le rock vénézuélien n’est plus que l’ombre de lui-même.

Julio, le chanteur de Novanout, s’en amuserait presque. « Merci, Poliedro! », braille-t-il au micro de sa salle de répétition, comme s’il se trouvait face aux 20.000 spectateurs que peut contenir le Poliedro.

Cette immense salle de la banlieue de Caracas a longtemps vibré au son de groupes célèbres, comme Queen ou Metallica. Lointains souvenirs: elle accueille désormais le plus souvent des réunions politiques.

Plus généralement, rarissimes sont les groupes étrangers de renom et leurs promoteurs à oser investir dans un concert au Venezuela, dont l’économie est frappée de plein fouet par une effroyable crise économique.

Et même les groupes vénézuéliens sont à la peine. « Je ne dirais pas que la scène (musicale) a disparu, mais elle est sans doute moins active qu’il y a quelques années », résume Julio Zamora.

C’est que les goûts du public ont aussi changé au Venezuela, où la salsa et le reggaeton sont omniprésents.

Les musiciens d’Agente extraño (Agent étranger) n’en ont que faire. Ils font figure de vétérans avec leur punk de la vieille école, toutes guitares en avant.

– Censure –

Cette année, ils ont justement repris « Miraflores », un morceau de Sentimiento muerto du milieu des années 1990 qui commence par ces mots: « je veux travailler pour le gouvernement/ Pour avoir une énorme baraque ».

Des paroles qui n’ont rien d’anodin 25 ans plus tard, dans un Venezuela qui traverse une grave crise politique où l’opposant Juan Guaido tente d’évincer le président socialiste Nicolas Maduro.

Mais si Agente extraño s’évertue à faire pogoter Caracas, « c’est pour l’amour de l’art », lance Rafael Pire, 44 ans, le guitariste. Car lui et les autres membres du groupe ne pourraient jamais vivre de leur art.

Ils sont électricien, comptable ou secrétaire administratif et doivent parfois y aller de leur poche pour se payer les 20 dollars par mois que leur coûtent les répétitions – dans un pays où le salaire mensuel minimum est d’environ 12 dollars.

Un concert d’une quarantaine de minutes dans un bar leur rapporte 30 à 40 dollars. Dans ces conditions, difficile de s’acheter un nouveau jeu de cordes pour guitare (8 dollars).

Et s’il est compliqué de donner des concerts, il l’est encore plus de passer à la radio ou la télévision. La Commission nationale des télécommunications (Conatel), créée en 2000 sous le défunt président Hugo Chavez (1999-2013), veille au grain. Elle a notamment pour tâche d’opérer une censure sur tous les contenus diffusés sur les chaînes vénézuéliennes.

Ne sont permises que les « émissions complaisantes, celles que le gouvernement tolère », se lamente Marco Santos, présentateur de l’émission radio « Rock en Ñ ». Il ne se voit passer « sous aucun prétexte » une chanson critique du gouvernement. « Beaucoup de gens se retrouveraient sans travail », énonce-t-il.

L’ONG Espacio publico a calculé qu’entre 2004 et 2018, 138 stations de radio ont été fermées, dont 92,9 FM, le bastion des fans de rock.

Mais Max Manzano, le directeur du « Festival des nouveaux groupes », se console. « Tant qu’il y a internet, on peut communiquer sans censure », dit-il.

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