InternationalAFP




Pas de répit pour les proches des disparus éthiopiens

Lorsque le gouvernement éthiopien a libéré des milliers de prisonniers cette année, Hannah Tesemma espérait que ses trois frères et…

Lorsque le gouvernement éthiopien a libéré des milliers de prisonniers cette année, Hannah Tesemma espérait que ses trois frères et sœurs, et son cousin, arrêtés dans les rues de la capitale il y a 24 ans, seraient parmi eux.

Ils ne l’étaient pas, alors Hannah et sa sœur ont défilé avec une banderole réclamant leur libération au cours d’un rassemblement de soutien au nouveau Premier ministre Abiy Ahmed dans Addis Abeba, et sont même restés sur place malgrè une attaque à la grenade qui a perturbé la réunion publique.

« Nous ne vivons pas, alors pourquoi devrions-nous nous cacher ? » a déclaré ensuite Hannah qui ne sait toujours pas où se trouve sa famille disparue.

Depuis son arrivée au pouvoir en avril, M. Abiy a mis en œuvre un énergique programme de réformes qui vise notamment à corriger les erreurs commises par son parti, l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF). Il a libéré des dizaines de dissidents et admis publiquement que les forces de sécurité torturaient les détenus.

Mais il doit encore s’occuper du sort de tous les Ethiopiens, opposés à l’omnipotent EPRDF, et que l’on n’a jamais revu.

« Notre famille a été déchirée », explique Hannah à l’AFP, les larmes aux yeux. « Pourquoi devons-nous souffrir ainsi ? »

– Dénégations –

L’EPRDF a pris le pouvoir en 1991 après avoir vaincu militairement la junte du Derg et renversé Mengistu, et il s’est installé comme l’unique pouvoir dirigeant du deuxième pays africain le plus peuplé.

Menelik Tesemma, 19 ans à l’époque et frère de Hannah, était actif dans un parti d’opposition, l’All Amhara People’s Organisation.

Peu de temps après avoir prononcé un discours percutant au cours d’une réunion du parti en 1994, des policiers en civil dans une voiture banalisée ont arrêté Menelik et son cousin. Le même soir, les frères jumeaux de Hannah, 21 ans, sont partis à la recherche de leurs proches, avant de se faire eux aussi arrêter.

Aucun n’a été revu depuis : il n’y a pas eu de comparution devant un tribunal, pas de trace à la police de leurs arrestations.

Une fois, Hannah a obtenu une entrevue avec un représentant du gouvernement qui a écouté son histoire avant de la rejeter en disant : « Notre gouvernement ne ferait pas de telles choses ».

Mais au debut des années 1990, quand l’EPRDF consolidait son pouvoir, la disparition des opposants était une évidente stratégie, constate Fisseha Tekle, chercheur à Amnesty International.

Ayant survécu aux purges sanglantes du Derg contre son parti, l’Ethiopian People’s Revolutionary Party (PRPE), Berhanu Ejigu, 47 ans, a été arrêté en 1994.

Il a fallu des mois à son frère Gebeyehu Ejigu pour apprendre qu’il pouvait rendre visite à Berhanu en prison, mais l’homme que la police lui a présenté n’était pas son frère.

« Il y a des pères et des mères, des frères et des sœurs, des femmes et des maris, des êtres chers mystérieusement disparus », dit M. Gebeyehu.

Il pense que son frère fait partie de dizaines de milliers de disparus, mais leur nombre est difficile à déterminer.

« Vous pouvez dénombrer les allégations, mais vous ne pouvez pas savoir combien de personnes ont disparu sous ce type de gouvernement », constate Fisseha.

– Recherche de la vérité –

Une des principales cibles de la stratégie des disparitions forcées était l’Oromo liberation front (OLF).

« Des personnes ont disparu juste après avoir quitté leur bureau », raconte Leenco Lata, un des responsables du groupe qui s’est affronté à l’EPRDF dans les années 1990.

Des familles ont parfois fait des tentatives désespérées pour retrouver leurs proches.

Après l’enlèvement en 1992 du frère de Lencho Bati, un responsable de l’OLF, son père s’est rendu au Tigré, dans le nord, où l’on croyait que les disparus étaient affectés à la construction de routes. Il a surveillé les équipes au travail, espérant apercevoir son fils disparu, Yosef Bati. Il ne l’a jamais trouvé.

« Je ne m’attends pas à ce que mon frère soit vivant », explique Lencho, ancien porte-parole de l’OLF, qui espère cependant recueillir un jour les restes de son frère pour les enterrer.

Aujourd’hui, l’EPRDF et ses alliés occupent tous les sièges au parlement et l’opposition politique est faible.

Abiy a permis le retour de dirigeants de groupes autrefois interdits comme l’OLF dans son pays et a fait du pardon un thème dans ses discours, mais il n’a pas encore résolu la question des disparitions forcées.

« Le gouvernement parle de pardon, mais la vérité devrait être une priorité « , estime Fisseha.

Récemment, des panneaux d’affichage demandant « Où sont-ils ? où sont-ils ? » sont apparus dans la région Oromia, aux côtés de photos de disparus, comme Bekele Dawano Hebeno, un membre de l’OLF qui a disparu en 1992.

Son fils, Edao, vient souvent depuis les États-Unis où il vit à la recherche d’informations, mais en vain pour l’instant.

Suivez l'information en direct sur notre chaîne