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Pour les médecins légistes du Sri Lanka, le puzzle macabre des attentats

La nauséeuse odeur de mort qui infestait les rues autour de la morgue de Colombo après les attentats de Pâques…

La nauséeuse odeur de mort qui infestait les rues autour de la morgue de Colombo après les attentats de Pâques s’est enfin dissipée. Mais les médecins légistes du Sri Lanka s’affairent encore sur des restes de corps des attaques jihadistes, ultimes pièces d’un puzzle macabre.

La tente dressée à l’extérieur pour permettre aux familles d’identifier leurs proches à partir de photographies a été démontée. La remorque réfrigérée amenée en urgence pour entreposer les trop nombreux cadavres est désormais vide et attend de repartir.

Depuis ce funeste dimanche 21 avril, la morgue de la capitale sri-lankaise a restitué les dépouilles de 115 personnes à leurs proches. Mais ses chambres froides contiennent toujours près de 50 sacs plastiques de morceaux épars non-identifiés, signe de la violence de ces attentats suicides revendiqués par le groupe État islamique (EI), qui pourraient alourdir le bilan humain de 257 morts.

Dans l’un de ces sacs, « il y a deux morceaux de joues – une joue avec une oreille, une avec le scalp et une oreille. Ça peut appartenir à deux personnes différentes », décrit en guise d’exemple le docteur Ajith Tennakoon, directeur de l’institut de médecine légale et de toxicologie.

« Il faut identifier les corps de défunts, les traiter avec respecter et dignité, et les rendre aux proches en bonne et due forme pour qu’ils puissent recevoir des funérailles appropriées en fonction des différentes croyances religieuses. C’est notre premier devoir », explique ce grand gaillard à lunettes de 59 ans, une blouse blanche à manches courtes portée par-dessus sa chemise.

Dans cette reconstitution minutieuse, tous les indices sont bons à prendre : un bijou porté par la victime le jour de sa mort, un vêtement, un signe physique distinctif. Lorsque c’est possible, les légistes recourent à des techniques plus élaborées comme les empreintes dentaires ou digitales. Le test ADN est la méthode la plus fiable.

À l’intérieur des derniers sacs mortuaires pourraient se trouver les traces des six personnes encore portées disparues depuis les attentats, ainsi que les kamikazes qui ont frappé trois hôtels de luxe et une église à Colombo. Les autres éléments pourraient venir de défunts dont les dépouilles ont été restituées incomplètes. Dans l’urgence, pas le temps de tout rassembler.

– Enquêtes post-mortem –

Les médecins légistes sont aussi des enquêteurs, avec la table d’autopsie comme terrain de travail. Ils peuvent permettre d’identifier les auteurs des attaques ou déterminer les explosifs utilisés. D’un tiroir, le docteur Tennakoon extrait une pochette transparente où repose une bille de plomb, l’une de celles utilisées par les jihadistes comme shrapnel pour maximiser les dégâts.

« Nous devons également aider à résoudre le crime, car ceci est un crime, un désastre provoqué par l’homme », lance-t-il.

À Colombo, plus que dans les autres villes touchées de Negombo et Batticaloa, le travail d’identification des morts s’est avéré particulièrement éprouvant en raison de la configuration des lieux visés. « Si l’explosion d’une bombe survient dans une structure en béton, le dommage est plus grave. C’est ce qui s’est passé dans les hôtels » frappés dans la capitale, explique le docteur Anil Jasinghe, directeur général des services de santé de l’île d’Asie du Sud.

Ainsi, bien que 102 personnes aient péri dans une seule église à Negombo, localité à une trentaine de kilomètres au nord de Colombo, presque toutes les dépouilles ont pu être rendues à leurs familles le soir même. La déflagration avait soufflé le toit de l’édifice, permettant à la pression de l’air de s’évacuer par le haut.

Mais dans un espace confiné, le souffle provoque des ravages considérables : « ce qui compte plus que tout, c’est les ondes de choc. Elles se déplacent plus vite que le son et à très grande vitesse, ce qui peut pulvériser un corps », dit le docteur Jasinghe.

Après le torrent de morts et de vivants en pleurs du dimanche de Pâques, la morgue de Colombo est revenue à une certaine routine. Médecins et infirmières circulent dans les couloirs en bottes de caoutchouc. Lorsqu’un employé pénètre dans la salle d’autopsies, les portes en verre dépoli laissent fugacement échapper la terrible odeur.

Mais sous une apparence de normalité, les esprits restent meurtris, à tel point que la direction de l’institut médico-légal compte mettre en place une cellule de soutien psychologique. Même quand la mort est une collègue, on ne s’y habitue jamais tout à fait.

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