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Pour un caricaturiste turc, les prisons et les tribunaux comme « seconde maison »

Le caricaturiste turc Musa Kart, connu pour son travail pour le quotidien d'opposition Cumhuriyet, raconte avoir passé plus de temps…

Le caricaturiste turc Musa Kart, connu pour son travail pour le quotidien d’opposition Cumhuriyet, raconte avoir passé plus de temps en prison ou au tribunal qu’à son bureau depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan en Turquie en 2003.

Son dernier séjour en prison a commencé en avril, lorsqu’une cour d’appel a confirmé sa condamnation à trois ans et neuf mois pour « aide à une organisation terroriste », avant qu’il soit libéré la semaine dernière dans l’attente de l’examen d’un nouvel appel.

« Ces quinze dernières années, les prisons et les tribunaux sont devenus une seconde maison pour moi », dit-il à l’AFP.

Récompensé l’année dernière par la fondation suisse Cartooning for Peace, M. Kart est l’un des quatorze employés de Cumhuriyet condamnés dans cette affaire.

Il a été arrêté une première fois en 2016, au moment où les autorités menaient une implacable répression contre l’opposition à la suite du putsch manqué du 15 juillet.

« J’ai passé quasiment autant de temps dans les couloirs des tribunaux qu’au journal. C’est vraiment malheureux », regrette-t-il.

Incorrigible optimiste, le caricaturiste refuse de se laisser abattre et raconte avoir toujours essayé d’être le plus présentable possible pour ses visiteurs en prison.

« Je me rasais, je prenais la chemise la plus propre de ma modeste garde-robe et je les accueillais à bras ouverts », décrit-il. « Nous passions notre temps à plaisanter ».

Son moral était également remonté par la conviction de n’avoir rien fait de mal. « Si vous êtes en paix avec vos actions, il n’est pas si difficile de supporter les conditions de détention », assure-t-il.

– « Ombre politique » –

Le premier procès de Musa Kart a eu lieu en 2005 en raison d’une caricature de M. Erdogan, alors Premier ministre, représenté comme un chat empêtré dans une pelote de laine.

« Je dessine depuis plus de 40 ans… Je l’ai fait dans le passé avec d’autres dirigeants politiques, mais je n’avais jamais fait l’objet de poursuites judiciaires », dit-il. « Le cadre de tolérance s’est nettement restreint aujourd’hui ».

Les défenseurs des droits de l’homme, dont Reporters sans frontières (RSF), ont appelé la Turquie à revoir ses lois anti-terroristes et anti-diffamation, affirmant qu’elles sont utilisées à outrance pour faire taire l’opposition.

Dans le procès en cours contre lui, il est reproché à M. Kart d’avoir contacté des membres du mouvement guléniste, accusé par Ankara d’avoir fomenté le putsch manqué de 2016.

L’accusation affirme également que les employés de Cumhuriyet ont conspiré pour changer la ligne éditoriale du quotidien afin de soutenir les gulénistes, ainsi que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le groupe d’extrême gauche DHKP-C, tous trois considérés comme « terroristes » par la Turquie.

« Quand vous regardez mes dessins, vous voyez combien je suis contre tout type d’organisation terroriste et avec quels force et sérieux je les critique », insiste M. Kart auprès de l’AFP.

Cumhuriyet, le plus ancien quotidien en Turquie, n’appartient pas à un grand groupe d’affaires, mais à une fondation indépendante, ce qui en fait une cible facile pour les autorités.

Son ancien rédacteur en chef Can Dündar a fui en Allemagne après une condamnation en 2016 à la suite d’un article affirmant que la Turquie avait fourni des armes à des groupes islamistes en Syrie.

En outre, Cumhuriyet connait ses propres problèmes internes, et certains, dont Musa Kart, ont démissionné en raison de différends avec la nouvelle direction qui a en pris les rênes l’année dernière.

Les poursuites judiciaires ont exacerbé le climat de peur dans lequel vivent les journalistes en Turquie, où des dizaines d’entre eux sont emprisonnés.

Et Musa Kart ne sait pas comment cette affaire va se terminer. « Tout le monde sait qu’une ombre politique flotte sur notre affaire », dit-il.

Mais quoi qu’il arrive, il souhaite se concentrer sur ses caricatures. « Les dessins de presse sont un langage très fort parce que l’on y trouve le moyen de s’exprimer sous toutes les circonstances, même sous la pression ».

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