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Procès France Télécom: extraits d’un jugement inédit

L'entreprise France Télécom et ses ex-dirigeants ont été condamnés vendredi pour un "harcèlement moral" institutionnel, une première pour une société…

L’entreprise France Télécom et ses ex-dirigeants ont été condamnés vendredi pour un « harcèlement moral » institutionnel, une première pour une société du CAC 40. Voici des extraits du jugement, qui représente « un tournant » pour les syndicats.

– Un harcèlement moral institutionnel –

Le harcèlement moral est défini dans le Code pénal comme « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ».

Mais le dossier France Télécom diffère d’un harcèlement moral classique, où l’auteur a un lien direct avec la victime. Il s’agit ici d’un harcèlement moral institutionnel, collectif. C’est une « caractérisation inédite du harcèlement moral », écrit le tribunal, qui évoque un phénomène d' »ampleur », « ayant eu pour cible plusieurs dizaines de milliers » de personnes.

« A cette dimension collective du harcèlement moral fait écho la phrase de Jean de La Fontaine : + Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés + », écrit le tribunal. « Car loin de se réduire à un conflit individuel, le harcèlement moral peut avoir ses racines profondes dans l’organisation du travail et dans les formes de management ».

– « A marche forcée » –

En 2005 et 2006, la réduction des effectifs devient un « objectif prioritaire, fondant une nouvelle politique des ressources humaines », lit-on dans le jugement. La direction avait été alertée par « le caractère irréaliste de l’objectif » de 22.000 départs mais « l’a maintenu de façon intangible pendant trois ans ».

Devant cet objectif « inaccessible », les « dirigeants font le choix d’une politique à marche forcée ».

En octobre 2006, devant les cadres, Didier Lombard avait déclaré qu’il ferait « les départs d’une façon ou d’une autre par la fenêtre ou par la porte ». Selon le jugement, à cette conférence, « le ton est donné : ce sera celui de l’urgence, de l’accélération, de la primauté des départs de l’entreprise, de gré ou de force ».

« L’objet de cette politique, à savoir dégrader les conditions de travail des agents de France Télécom pour les pousser à la mobilité ou aux départs, a été atteint: l’objectif des 22.000 départs a même été dépassé. »

– « Un climat anxiogène » –

La présidente cite le philologue Victor Klemperer: « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelques temps l’effet toxique se fait sentir ».

La politique de la direction « a créé un climat anxiogène, déstabilisant les agents qui tombaient alors dans la crainte de ne pas retrouver de poste (…) ou dans l’angoisse de devoir à tout prix parvenir à s’adapter à leurs nouvelles fonctions sous peine d’être contraint au départ », indique le jugement.

« L’encadrement », lui-même « menacé de sanctions » ou « récompensé financièrement en cas d’objectif atteint », « a répercuté cette pression (…) par une intensification des incitations à la mobilité, par des mutations forcées, par l’inflation des contrôles, créant par là-même un climat anxiogène dans le quotidien de tous les agents. »

« Placée entre le marteau et l’enclume, la hiérarchie intermédiaire s’est elle aussi trouvée en souffrance. »

– Le sens du travail –

« Le travail nourrit et structure l’identité professionnelle mais aussi personnelle. L’emprise phagocyte la réflexion, elle isole la personne : elle provoque des failles telles que des conflits de valeurs, l’insatisfaction du travail bâclé, le doute sur la compétence, ou amplifie d’éventuelles fragilités antérieures. »

« Les témoignages à l’audience ont, tous, révélé des personnes fières d’appartenir à la société France Télécom, qui cherchent à rester debout et qui se battent pour leur dignité notamment professionnelle, ainsi que des personnes pliées par la douleur d’avoir perdu un être cher dont ils défendent la mémoire avec une énergie désespérée ou une simplicité remplie de pudeur. »

– « Des interdits »

« Il ne s’agit pas de critiquer les choix stratégiques d’un chef d’entreprise, notamment celui d’une politique de déflation des effectifs dès lors qu’elle demeure respectueuse du cadre légal », souligne le jugement.

« Il s’agit seulement de rappeler aux prévenus que les moyens choisis pour atteindre l’objectif des 22.000 départs étaient interdits », ajoute la décision, qui appelle à « concilier le temps et les exigences de la transformation » avec « le rythme de l’adaptation des agents ».

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