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Projection à Bangui d’un film sur la journaliste Camille Lepage, tuée en Centrafrique

Des cadres du gouvernement aux agents de sécurité, les spectateurs présents attendaient avec impatience les premières projections en Centrafrique de…

Des cadres du gouvernement aux agents de sécurité, les spectateurs présents attendaient avec impatience les premières projections en Centrafrique de « Camille », le film qui retrace les derniers mois de la vie de la photojournaliste française Camille Lepage, tuée au plus fort de la guerre civile qui a déchiré ce pays.

Ils voulaient découvrir sur grand écran l’histoire de cette jeune femme de 26 ans qui avait sillonné les rues de Bangui, avant sa mort le 6 mai 2014, alors qu’elle accompagnait des miliciens en patrouille en province.

« Au quartier, tout le monde connaissait Camille, et tout le monde veut voir le film », témoigne Armand, agent de sécurité. Mais seuls quelques milliers de personnes ont été invitées à s’assoir sur le parking de l’Alliance française de Bangui, transformé pour trois soirées, de vendredi à dimanche, en cinéma de plein air.

Les lumières s’éteignent. Un vrombissement de moteur ouvre la première scène, où les soldats français vont découvrir le corps de la journaliste à l’arrière d’un pickup, entouré par des hommes armés gesticulants.

Une clameur accompagne l’apparition des miliciens. Beaucoup de figurants sont présents dans l’assistance, avec amis et familles. Et c’est la première fois que les spectateurs voient apparaître des compatriotes dans un film étranger.

Sur l’écran, ils reproduisent le conflit qui a opposé les miliciens, autoproclamés d' »autodéfense » (antibalakas), que Camille Lepage accompagnait au moment de sa mort, à la coalition séléka, qui avait renversé le président François Bozizé en 2013.

– Assistants réalisateurs centrafricains –

C’est l’aboutissement d’un projet initié en 2016 par le réalisateur français Boris Lojkine: tourner ce film dans un pays très pauvre encore en proie aux violences quotidiennes, qui manque de moyens techniques et où la dernière salle de cinéma a fermé depuis des décennies. Et contribuer ainsi à « développer un cinéma centrafricain ».

En amont du tournage, l’Alliance française avait formé une génération de jeunes réalisateurs aux techniques du cinéma. Nombre d’entre eux ont été impliqués dans le projet comme assistants ou comme acteurs, et se consacrent désormais à leurs propres réalisations.

« Ce sera à eux de raconter leur histoire », rappelle Boris Lojkine, qui se garde de toute appropriation: « +Camille+ raconte l’histoire de Camille, pas celle de la Centrafrique. »

Mais si le film a été, pour l’heure, bien accueilli en Europe, où il a notamment reçu le prix du public au festival de Locarno, ce sont les Centrafricains qui peuvent le mieux valider le réalisme et la justesse d’une œuvre évoquant une page de son histoire particulièrement douloureuse.

« Le public va revivre les pires moments de l’histoire de Bangui. Le film aborde tout cela de manière très frontale », avertit ainsi le réalisateur avant la projection.

– Plaies à vif –

A peine six ans après le début de la guerre civile, et alors que des milices continuent de s’affronter, les plaies sont encore à vif. Les images de cadavres allongés dans les rues ou entassés à l’hôpital communautaire glacent l’assistance, soudain enveloppée d’un épais silence. Quelques larmes coulent.

« Le film a réveillé des sentiments amers », confie Tanguy, un Centrafricain recruté comme assistant réalisateur. « Mais c’est nécessaire. En quelque sorte, c’est une archive qui doit rappeler aux Centrafricains jusqu’où peut aller un être humain », ajoute-t-il.

Comme cette violente scène de lynchage, qui fait poindre un malaise dans le public. Faut-il, ou pas, montrer ces images ? L’héroïne et ses confrères journalistes qui ont photographié la scène se posent eux-mêmes la question, et sont pris d’un doute terrible: la victime aurait-elle été massacrée s’il n’y vait pas eu de caméras ?

« S’il ne s’aventure pas à écorner la mémoire de Camille Lepage, dont la simplicité et le caractère sont brillamment restitués par l’actrice Nina Meurisse, le film n’hésite pas à questionner l’engagement et les motivations de cette jeune Européenne issue d’un milieu bourgeois.

« Tu te crois meilleure que les autres ? », s’agace ainsi un chef de milice antibalaka quand l’héroïne tente de le dissuader de mener des représailles. « Tout ce qui t’intéresse, c’est venir prendre tes photos ! Tu viens, tu prends, et tu pars ! »

La réplique du chef soulève un tonnerre d’applaudissements. Cette fois, c’est du côté des nombreux expatriés également présents dans le public que le malaise est palpable.

Et si les clameurs et les rires qui ponctuent la projection témoignent de la justesse des dialogues et des situations, les acclamations semblent parfois prendre un tout autre sens: lorsqu’elles saluent, par exemple, un groupe de miliciens antibalakas déchargeant leurs fusils sur des combattants de la rébellion Séléka.

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