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« Revenez demain »: le parcours sans issue des demandeurs d’asile en Afrique du Sud

Les yeux embués, Thérèse Walu se rappelle du dernier dîner en famille il y a dix-neuf ans, avant l'attaque de…

Les yeux embués, Thérèse Walu se rappelle du dernier dîner en famille il y a dix-neuf ans, avant l’attaque de son village en République démocratique du Congo. Après un très long périple de 3.000 kilomètres, elle est arrivée en Afrique du Sud, où elle attend toujours d’être régularisée.

« La seule chose que les autorités sud-africaines m’aient donnée est un papier temporaire d’asile », explique Thérèse qui se bat, depuis dix ans, pour obtenir le statut de réfugié pour elle et ses deux filles.

Epuisée par la lenteur de l’administration, la coiffeuse de 41 ans n’a qu’une seule idée en tête: quitter le pays qu’elle a pourtant mis si longtemps à rejoindre.

« Nous sommes fatigués. Nous n’aimons plus l’Afrique du Sud », lâche la mère de famille. « Ici il n’y a pas d’avenir ».

D’autant qu’elle ne se sent plus en sécurité après la dernière vague de violences xénophobes qui a fait au moins 12 morts en septembre.

Comme elle, des centaines de demandeurs d’asile, dans l’attente de régularisation depuis des années, crient leur colère: depuis octobre, ils campent devant les bureaux du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans la capitale sud-africaine, Pretoria.

Au Cap (sud-ouest), ils ont organisé la même opération, mais ont été expulsés manu militari fin octobre. A Pretoria, la justice leur a ordonné mercredi d’évacuer les lieux sous 72 heures.

« Plus d’Afrique du Sud. On demande nos droits. Afrique du Sud xénophobe » !, dénoncent des manifestants, implorant le HCR de les transférer dans d’autres pays.

– Désenchantés –

Retour en 2000. Les soldats congolais attaquent le village de Thérèse, près de Beni (est de la RDC), que l’armée soupçonnait de soutenir des rebelles. La mère a juste le temps de prendre ses deux plus jeunes filles et de s’enfuir.

Aujourd’hui, elle est toujours sans nouvelles de son mari et de trois de ses enfants.

Comme des millions d’Africains, Thérèse a choisi de s’établir en Afrique du Sud, la première puissance industrielle du continent qui dispose d’une des législations « les plus progressistes » en matière de réfugiés, selon le HCR.

Entre 2007 et 2015, plus d’un million de demandeurs d’asile sont officiellement arrivés en Afrique du Sud, l’un des rares pays au monde qui les autorise théoriquement à travailler, accéder à des soins gratuits et étudier pendant que leur dossier est épluché.

« En arrivant ici, j’ai pensé +enfin+ », se rappelle Esther Kabinga, une Congolaise de 46 ans violée par des soldats dans son pays.

Elle a vite déchanté.

Pour obtenir des papiers, « ils te donnent un numéro et tu attends toute la journée. A la fin, ils te disent de revenir le lendemain, puis la semaine d’après », se rappelle-t-elle.

Au bout de quelques mois, Esther a finalement obtenu des documents provisoires qu’elle doit faire renouveler tous les trois mois.

Le parcours du combattant continue. Car comme la majorité des demandeurs d’asile, les demandes initiales d’Esther et de Thérèse ont été rejetées. Sans surprise.

– Discriminations –

Le taux de refus des dossiers initiaux est de 99%, explique une avocate des droits de l’homme, Jessica Lawrence. Commence alors le très long processus d’appel.

« La qualité du processus de décision est choquante », ajoute une de ses collègues, Sharon Elkambaram.

Sur plus de 600.000 dossiers traités au cours de la dernière décennie, moins de 10% ont au final obtenu le statut de réfugié, selon les autorités.

La majorité n’était « pas sincère », se défend le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Siya Qoza,

En dépit du volume de dossiers à traiter, l’Afrique du Sud a récemment réduit la capacité d’accueil des centres chargés de gérer les demandes. « Pourquoi devrait-on augmenter notre capacité quand la plupart du monde est stable ? », se demande Siya Qoza.

Au quotidien, les demandeurs d’asile se disent victimes de discriminations.

Thérèse affirme que ses filles ont reçu, en fin de terminale, un diplôme différent des autres élèves, à cause de leur statut de demandeurs d’asile, et se sont vu refuser l’accès à l’université.

« Les établissements ont reçu pour instruction de ne pas enregistrer les enfants d’étrangers ou ceux qui n’ont pas de carte d’identité sud-africaine », assure Sharon Elkambaram. « La même chose dans les hôpitaux ».

Le mois dernier, la justice a donné raison à un hôpital public qui avait décidé de ne pas soigner une demandeuse d’asile éthiopienne: elle avait besoin d’urgence d’une dialyse. La justice a argué que la malade, Alem Ereselo, n’était pas sud-africaine.

La jeune femme de 36 ans, qui craint d’être persécutée dans son pays pour des raisons politiques, est arrivée en Afrique du Sud en 2010. Elle a contracté cette année une grave infection rénale.

« J’ai honte pour l’Afrique du Sud », lâche-t-elle, peinant à s’exprimer après deux semaines d’interruption de traitement. Après neuf ans passés en Afrique du Sud, « je me rends compte qu’en tant que malade et demandeur d’asile, on est juste des perdants ».

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