InternationalAFP




Roumanie: la révolution de 1989 en cinq témoignages

En décembre 1989, dix jours de manifestations en Roumanie menèrent à l'effondrement de la dernière dictature communiste d'Europe. A Timisoara…

En décembre 1989, dix jours de manifestations en Roumanie menèrent à l’effondrement de la dernière dictature communiste d’Europe.

A Timisoara (ouest) puis à Bucarest, la population descend dans la rue contre Nicolae Ceausescu qui finit par s’enfuir le 22 décembre. Il est exécuté le 25 décembre avec sa femme Elena.

La répression des manifestions, avant et après la mort de Ceausescu, a fait plus d’un millier de morts. Cinq acteurs de cette révolution ont raconté leurs souvenirs à l’AFP.

. Le pasteur

Laszlo Toekes est présenté comme « l’étincelle » de la révolution. C’est pour soutenir ce pasteur, issu de la minorité hongroise et menacé d’expulsion par la police politique -la Securitate- que les premières manifestations ont été organisées à Timisoara.

« Je ne pouvais pas imaginer que le 15 décembre les gens répondraient à mon appel et qu’ils viendraient devant mon église pour exprimer leur solidarité. Notre vie était en jeu, nous étions dans une situation désespérée, il n’y avait pas d’autre alternative que la chute de Ceausescu, mais un tel scénario paraissait invraisemblable. Ce fut un miracle ».

Aujoud’hui âgé de 67 ans, pasteur à Oradea (nord-ouest), Laszlo Toekes a également été élu du parti de la minorité hongroise de Roumanie.

. Le politique

Fils d’un apparatchik communiste, Petre Roman était professeur à l’université polytechnique de Bucarest au démarrage de la contestation.

« La barricade érigée Place de l’université le 21 décembre a été le moment le plus dramatique. Sans cette barricade faite de chaises, de tables et d’autres objets trouvés dans la rue, le dénouement aurait été retardé. Elle nous a permis de résister jusque vers minuit quand (les forces de sécurité, ndlr) ont commencé à tirer. Sur les 81 personnes qui s’y trouvaient encore, 39 ont été abattues. Le 22 décembre, j’ai été parmi les premiers à entrer dans le Comité central du parti communiste », déserté par Ceausescu.

Quelques jours plus tard, le 26 décembre, Petre Roman a été nommé Premier ministre par le Front du salut national, poste occupé jusqu’en octobre 1991. Il a aujourd’hui 73 ans.

. Le dissident

Pour Radu Filipescu, figure de la dissidence anticommuniste, les événements ont commencé avec la manifestation du 21 décembre à Bucarest.

« Le lendemain alors que je me rendais au boulot, un type est descendu de la voiture qui me suivait tous les jours pour +m’inviter+ au siège de la Securitate. Là-bas, il y avait deux hommes arrêtés pour avoir distribué des tracts. Quelques heures plus tard, un gardien a ouvert la porte en nous lançant: +vous êtes libres+. Dans la rue j’ai appris que Ceausescu s’était enfui à bord d’un hélicoptère ».

Cet ingénieur, aujourd’hui âgé de 63 ans, a par la suite créé son entreprise et déposé plusieurs brevets.

. La poétesse

Ana Blandiana, écrivain et poète qui avait vu plusieurs de ses oeuvres interdites par le régime communiste, se souvient que « le centre de Bucarest ressemblait à un champ de bataille ».

« Le 22 j’étais sur l’actuelle place de la Révolution quand j’ai entendu un homme muni d’un haut parleur dire que dorénavant nous serions libres et choisirions nous-mêmes nos dirigeants. Sur la liste qu’il dressait j’ai entendu mon nom. Cela m’a paru étrange et a un peu gâché mon euphorie. Puis, Ion Iliescu (qui a pris le pouvoir aussitôt après la fuite de Ceausescu, ndlr) a annoncé, sans me consulter, que je serai vice-présidente du Front du salut national (FSN). J’ai refusé malgré leur insistance », comprenant que le FSN, dirigé par d’ex-apparatchiks communistes, avait besoin d’opposants à Ceausescu pour se forger une légitimité.

Agée de 77 ans, elle a transformé la prison de Sighet (nord) en Mémorial des victimes du communisme, quasiment le seul lieu de mémoire de Roumanie consacré à cette période.

. Le procureur

Le 25 décembre, une parodie de procès condamne les époux Ceausescu à la peine de mort. C’est Dan Voinea, alors procureur militaire de 39 ans, qui a été chargé de requérir la sentence.

« Le 22 décembre j’ai été envoyé au comité central du PC, pris d’assaut par des manifestants. J’y ai appris que Ceausescu venait d’être arrêté à Targoviste (100 km au nord de Bucarest) et on m’a dit d’aller sur place pour préparer le procès. Je pensais qu’il y aurait plusieurs audiences, que des témoins seraient entendus, mais on m’a expliqué que le temps pressait. J’ai rédigé le réquisitoire et accusé Ceausescu de +crimes contre l’humanité+ pour avoir donné l’ordre de tirer sur les manifestants. Mon sentiment? J’ai été soulagé qu’on soit débarrassé du dictateur. Je ne regrette pas, ma conviction est qu’aucune autre peine n’aurait été juste pour un dictateur comme Ceausescu. »

Dan Voinea est retraité du parquet militaire où il a poursuivi sa carrière après 1989.

Suivez l'information en direct sur notre chaîne