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Somaliland: un renouveau littéraire inspiré par la foire du livre

Abdishakuur Mohamed Abdallah, 16 ans, interpelle avec aplomb les curieux pour leur présenter son ouvrage à la foire du livre…

Abdishakuur Mohamed Abdallah, 16 ans, interpelle avec aplomb les curieux pour leur présenter son ouvrage à la foire du livre d’Hargeisa, un événement qui en une décennie a contribué à l’éveil littéraire et artistique du Somaliland.

Abdishakuur a mis quatre ans pour écrire « Ab-ka haleel » (« Sur les traces de nos ancêtres »). « J’ai écrit ce livre parce que je voyais que mes amis n’adhéraient pas à leur culture, la considéraient sans importance et que leur identité somalienne était menacée », explique-t-il à l’AFP.

Pour la première édition en 2008, les organisateurs de la foire n’avaient pu exposer que quelques dizaines de livres empruntés à des amis et rassembler environ 200 visiteurs.

Dix ans après, le livre a trouvé toute sa place dans la société somalilandaise. Des écrivains se sont révélés, des livres ont été édités, des clubs de lecture créés et des bibliothèques publiques ouvertes.

La foire, dont la 11e édition a débuté samedi et s’achève jeudi, est pour beaucoup dans ce succès. Elle est devenue un événement international, qui attire des délégations venues du monde entier.

Elle a aussi contribué à faire connaître cette paisible République autoproclamée, qui est loin du chaos observé en Somalie, dont elle s’est déclarée indépendante en 1991, sans cependant avoir jamais été officiellement reconnue par aucun pays.

« C’est un espace qui permet vraiment à des gens de toutes les couches de la société, ambassadeurs, hommes politiques, artistes, penseurs, différentes personnes, de venir ici partager leurs idées sur l’avenir du Somaliland », souligne Khadra Ali, une cinéaste.

« Nous sommes ici pour encourager les jeunes et leur expliquer la valeur de l’écriture, que ce soit pour un livre, de la poésie ou toute autre forme d’art », complète Yasmin Mohamed Kahin, une écrivaine et dramaturge dont le travail a été exposé à la foire.

– Culture orale –

Le Somaliland et la Somalie ont longtemps eu une culture orale, marquée par la vénération pour les poètes, comme Mohamed Ibrahim Warsame, dit Hadraawi, considéré par certains comme le Shakespeare somalien.

Ce n’est qu’en 1972 que la langue somalienne a été codifiée à l’écrit par le gouvernement militaire du président Siad Barre, soucieux de renforcer l’identité somalienne.

Mais la résistance à ce régime de plus en plus autocratique a brisé l’élan. En 1988, l’armée somalienne a bombardé et rasé Hargeisa, poussant les Somalilandais sur la route de l’exil vers l’Europe, les pays du Golfe ou les camps de réfugiés d’Éthiopie.

A 80 ans, Edna Adan, ancienne ministre des Affaires étrangères et épouse du deuxième président du Somaliland indépendant, Mohamed Ibrahim Egal, jouit d’une popularité de rock star parmi la jeunesse somalilandaise.

Elle se rappelle avoir visité au début des années 90 le lieu sur lequel a été bâti le centre culturel d’Hargeisa, un ensemble ouvert en 2014 et composé d’une galerie d’art, d’une librairie et d’un théâtre, où se tient la foire.

« Je n’ai pas pu marcher dans les chemins ici parce qu’il y avait des mines laissées par les soldats de la Somalie », raconte-t-elle dans son français impeccable appris pendant sa scolarité à Djibouti.

Aux débuts de la foire, l’effort pour introduire les livres a d’abord reçu un accueil « très timide », se rappelle-t-elle. « Mais ça a eu (ensuite) un développement extraordinaire ».

– « La société a changé » –

« Chaque année, il y a de plus en plus de jeunes qui sont inspirés et se mettent eux-mêmes à écrire, que ce soit en langue somali, arabe, anglaise. Ça a introduit la valeur du livre aux jeunes. C’est quelque chose qu’ils n’avaient jamais connu ».

Quand Jama Musse Jama, chercheur à l’université de Pise, est revenu en 2008 d’Italie et a fondé la foire, il pensait que si les Somalilandais ne lisaient pas, c’était simplement parce qu’ils venaient d’une culture orale.

« Mais ensuite, j’en suis venu à comprendre que ce n’était pas le cas. Ce qui manquait, c’était la matière première. Il n’y avait pas de livres en circulation », observe-t-il.

« Nous avons oublié qui nous sommes. Nous avons oublié l’art, la culture, la musique. La musique somalienne était dans les années 40, 50, 60 une des plus vibrantes d’Afrique. Aujourd’hui, les jeunes n’ont peut-être même aucune idée de ce qu’est la musique somalienne ».

Mais il constate maintenant que « la société a changé, la société comprend combien la lecture et l’écriture sont importantes pour la culture » et que l’art renaît sous différentes formes, dont la peinture, à Hargeisa.

La photographe Huda Ali, qui en 2017 a publié un livre de photos du Somaliland, partage cette conviction. « Il y a 10 ans, les gens étaient parfois surpris de voir une fille avec un appareil photo dans les rues. C’était difficile à accepter, mais ça a changé au fil du temps ».

Le Rwanda est cette année l’invité d’honneur de la foire. Pour l’artiste rwandaise Carole Karemera, un « capital confiance énorme » anime le Somaliland, qui lui rappelle son Rwanda, un autre pays ayant « traversé l’enfer ».

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