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Soudan du Sud: la paix n’a pas encore apaisé la faim

Le vrombissement des moteurs se fait entendre au loin, puis dans un bruit assourdissant l'avion cargo passe au-dessus de Mogok,…

Le vrombissement des moteurs se fait entendre au loin, puis dans un bruit assourdissant l’avion cargo passe au-dessus de Mogok, larguant des sacs de céréales sur ce village du Sud-Soudan désolé et poussiéreux.

Il n’existe pas d’autre voie que les airs pour amener de la nourriture à ce hameau dont les habitants meurent de faim. Il n’y a pas de route et le Nil onduleux est à des kilomètres.

Sans nourriture et au bord de la famine, les villageoises se précipitent vers les rations tombées du ciel qui leur permettront de subvenir aux besoins de leur famille pour des mois.

« Les enfants mangeaient des feuilles », raconte à l’AFP Nyawal Puot, 36 ans, une mère de cinq enfants, à Mogok, petit amas de huttes au toit de chaume déposées sur une plaine aride, à des lieues de tout, dans le nord-est du Soudan du Sud.

Mogok vient d’être au moins temporairement sauvé. Mais six millions de Sud-Soudanais, soit plus de la moitié de la population, sont en situation de crise alimentaire, quelque 20.000 étant même au bord de la famine.

Et ce au moment où le président Salva Kiir et le chef rebelle redevenu vice-président Riek Machar ont réussi à s’accorder sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, dont la tâche principale sera de mettre fin à six ans de guerre civile.

En février, juste avant que ces deux anciens rivaux ne concluent cet accord, les Nations unies ont mis en garde contre l’aggravation de la crise alimentaire attendue pour juillet.

Ceux qui appellent à une réponse humanitaire d’urgence considèrent que la paix et la stabilité sont les meilleures chances d’éviter la répétition de la famine de 2017.

Mais nourrir des millions de personnes est coûteux, difficile et dangereux dans un pays où l’accès est aussi malaisé, où les conflits armés persistent, et où gouvernement et rebelles sont accusés par l’ONU d’avoir « délibérément affamé » les habitants.

– « Plus rien à cultiver » –

A Mogok, les inondations au plus fort de la saison des semences fin 2019 ont transformé les champs en marécages, dévastant des cultures qui auraient permis de se nourrir pendant six mois.

« Les gens ne pouvaient plus rien cultiver. Il n’y avait aucun moyen d’avoir de la nourriture », poursuit Nyawal. Elle passait des journées à chercher de la nourriture, mais ne trouvait guère que des arbrisseaux ou des fruits sauvages qui rendaient certains enfants malades.

Les pluies ont aussi détruit les rares routes existantes, coupant tout lien avec le reste du pays. Le Soudan du Sud, un pays de la taille de la France, ne compte pas plus de 250 km de routes bitumées.

« Le Soudan du Sud est un des pays les plus isolés, ruraux et où il est difficile de se déplacer au monde. Vous pouvez voler pendant des heures sans voir une route », souligne Matthew Hollingworth, directeur pour ce pays du Programme alimentaire mondial (PAM).

Le Soudan du Sud est le dernier pays au monde où de la nourriture est larguée depuis les airs. A Mogok, il n’y avait pas d’autre solution: sans ces tonnes de céréales et de graines, les habitants seraient simplement morts.

L’année dernière, le nombre de Sud-Soudanais affamés était encore supérieur. Pendant la période de soudure, qui sépare la saison sèche et la saison des pluies, ils étaient près de 7 millions dans cette situation.

Une accalmie dans les combats après la signature en septembre 2018 d’un accord de paix a permis à certains paysans de rentrer chez eux cultiver leurs champs pour la première fois depuis des années.

La production de céréales a augmenté de 10%, selon le PAM, bien en deçà toutefois des besoins du pays.

Le largage aérien est le moyen le plus coûteux de fournir de la nourriture: huit fois plus cher que le transport routier. Aussi est-il moins utilisé depuis que le cessez-le-feu est en place.

– Amélioration de la sécurité –

Trois ans auparavant, le PAM utilisait huit avions qui délivraient de la nourriture « chaque jour, toute la journée » à environ 1,3 million de personnes, explique M. Hollingworth.

« Aujourd’hui, parce qu’il y a le cessez-le-feu et que la paix tient, ces chiffres ont baissé » à trois avions pour 400.000 personnes.

L’amélioration de la sécurité a permis d’accéder à des endroits jusqu’alors considérés comme trop isolés ou risqués, dans un des pays les plus dangereux au monde pour les travailleurs humanitaires.

Les parties navigables du Sud, une des plus grandes zones humides au monde, ont été cartographiées pour la première fois, ce qui a permis de transporter de la nourriture par la rivière et de l’entreposer sur des barges en prévision de la soudure.

Pour la première fois, des véhicules amphibies ont atteint des villages cachés dans les affluents du Nil. Des camions ont aussi réussi à se frayer un chemin vers des recoins perdus en forêt dans le Nord-Est.

« Nous ne pouvions pas faire ça les années précédentes, car il y avait beaucoup de combats là-bas », remarque Fiona Lithgow, une responsable du PAM.

Malgré les déclarations de paix en grande pompe à Juba, les violences pourraient encore entraver les efforts herculéens nécessaires pour nourrir des millions de personnes dans les mois à venir.

Mais si la stabilité prévaut, le largage sur Mogok pourrait y être le dernier, la construction d’une route étant prévue. « La paix va apporter ce changement », ose espérer M. Hollingworth.

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