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Soudan: l’armée loyale à Béchir pourrait basculer en faveur des manifestants

Le soutien au président soudanais Omar el-Béchir, confronté à une pression populaire de plus en plus forte pour obtenir son…

Le soutien au président soudanais Omar el-Béchir, confronté à une pression populaire de plus en plus forte pour obtenir son départ, semble se lézarder au sein de l’armée, un des piliers du régime, avancent des analystes.

Depuis samedi, des milliers de Soudanais campent devant le quartier général de l’armée à Khartoum pour appeler les militaires à rejoindre leur mouvement, qui exige depuis quatre mois le départ de M. Béchir.

Cette mobilisation, qui a repris après s’être tassée lors de l’instauration d’un état d’urgence le 22 février, est considéré comme le plus grand défi auquel est confronté le président, au pouvoir depuis trois décennies après un coup d’Etat en 1989.

A 75 ans, M. Béchir, l’un des plus anciens dirigeants d’Afrique, refuse de démissionner.

Si l’armée soudanaise a pris soin de ne pas intervenir depuis le début de cette crise, des soldats se sont mêlés mardi à la foule réunie devant le QG des militaires, dansant et chantant.

Certains soldats ont été portés par les manifestants, tandis que d’autres ont tiré en l’air lorsque le puissant service de renseignement NISS a tenté de disperser les contestataires.

« Il s’agit là d’un soutien évident (de l’armée), qui est perçu comme une cooptation du mouvement de contestation », estime Magdi al-Gizouli, analyste du Rift Valley Institute, un groupe de réflexion qui se concentre sur l’Afrique de l’Est et centrale.

Selon M. Gizouli, « les événements du 6 et 7 avril ont réhabilité l’autorité morale de l’armée et affirmé son poids politique ».

Lundi, les groupes à la tête du mouvement de protestation, dont l’Alliance pour la liberté et le changement, ont appelé l’armée à tenir des pourparlers sur la formation d’un gouvernement de transition.

Mardi, la police a de son côté ordonné à ses forces de ne pas intervenir contre les manifestants, espérant ainsi ouvrir la voie à une « transition pacifique » du pouvoir.

– L’armée, « sage-femme » –

Depuis décembre, les forces de sécurité soutenant M. Béchir, notamment le NISS, ont mené une répression meurtrière contre les manifestants.

Au moins 38 manifestants ont été tués depuis le début de la contestation, selon les autorités. Sadek al-Mahdi, à la tête du principal parti d’opposition, a quant à lui affirmé mardi soir que des hommes armés et masqués ont tué 20 contestataires au cours des quatre derniers jours.

L’absence d’intervention de l’armée contre les manifestants devant un site militaire sensible révèle le mécontentement au sein des rangs de l’institution militaire, affirment les analystes.

« L’armée a toujours été la clé du succès définitif d’un soulèvement », rappelle Eric Reeves, chercheur spécialiste du Soudan à l’université américaine de Harvard.

« Et il y a eu de nombreux signes de désaffection au sein de l’armée », explique-t-il. « Les rangs les plus bas sont en colère (à l’idée) de devoir tuer des Soudanais. »

Le mouvement de contestation « bien qu’il ait obtenu des avancées considérables, manque d’une stratégie allant au-delà de l’agitation », juge M. Gizouli.

Selon lui, les groupes à la tête de la contestation souhaitent que l’armée « joue le rôle de sage-femme, résolve la crise actuelle, destitue M. Béchir et donne le pouvoir au peuple ».

– « Signaux contradictoires » –

« Reste à savoir combien de temps l’armée restera fidèle à Béchir », remarque Murithi Mutiga, du centre de réflexion International Crisis Group spécialisé dans la question des conflits.

« Etant donné les signaux contradictoires venant des hauts gradés de l’armée, M. Béchir pourrait devoir gérer la transition plus tôt que prévu », ajoute-t-il.

Dans un communiqué commun, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège ont appelé mardi, via leurs ambassades à Khartoum, les autorités soudanaises à présenter dès maintenant un plan « crédible » pour une transition pacifique du pouvoir.

Pour les analystes, la question est surtout de savoir si cette « transition pacifique » passera par l’émergence d’un gouvernement civil ou l’arrivée au pouvoir d’un dirigeant militaire qui bénéficiera du soutien de la population.

Militaire ou civil, le gouvernement aura la lourde tâche de gérer la crise économique qui a provoqué le mouvement de contestation en décembre 2018.

Les manifestations avaient été déclenchées par la décision de l’Etat de tripler le prix du pain dans un pays déjà aux prises avec une flambée des prix de l’essence et une grave pénurie de devises.

Selon M. Reeves, « personne ne veut devoir gérer la catastrophe économique qui a frappé le Soudan », en particulier l’armée qui « ne veut pas (en) hériter ».

« Au moins, un gouvernement civil installé au pouvoir par l’armée bénéficierait d’une marge de manoeuvre donnée par une écrasante majorité des Soudanais », estime-t-il.

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