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« Ten years Thailand », un film anti-junte qui fait entrer la politique au cinéma

Sorti en salles jeudi en Thaïlande, le film "Ten Years Thailand", sélectionné à Cannes cette année, se livre à une…

Sorti en salles jeudi en Thaïlande, le film « Ten Years Thailand », sélectionné à Cannes cette année, se livre à une rare critique sur grand écran de la junte au pouvoir et entend bien jouer un rôle politique, à quelques semaines d’élections promises par les généraux.

Une femme nue lapidée par une foule rappelant les manifestants pro-junte, des soldats ridiculisés lors d’une opération contre une exposition de photos dans une galerie, une générale en uniforme rose envoyant les récalcitrants se faire découper dans l’espace… Autant de sujets jamais montrés au cinéma habituellement.

Les opposants aux militaires au pouvoir depuis un coup d’Etat en 2014 se sont pressés à la première mardi soir à Bangkok, des étudiants abonnés aux interpellations à l’étoile montante de l’opposition, le millionnaire Thanathorn Juangroongruangk.

Mais pour Aditya Assarat, co-réalisateur et producteur, le but est de dépasser le public de l’intelligentsia bangkokienne et de toucher des spectateurs « normaux », qui « ne vont d’habitude pas au cinéma ».

« Nous voulons que viennent voir le film tous ceux qui sont inquiets de la direction prise par le pays, avec les militaires au pouvoir », explique Aditya Assarat, qui a étudié le cinéma en Californie.

Il espère attirer 500.000 spectateurs et renouveler l’exploit de « Ten Years » Hong Kong, le premier de cette série de films à petit budget, qui avait créé la surprise en attirant les foules à Hong Kong.

L’époque était favorable: le film était sorti en 2015, dans le contexte de la révolte des parapluies, manifestations de jeunes Hongkongais dénonçant la mainmise de Pékin sur leur île.

Ce nouveau film, combinant des moyens-métrages de quatre réalisateurs thaïlandais dont Apichatpong Weerasethakul, Palme d’Or à Cannes en 2010, est à l’origine une commande du producteur hongkongais de « Ten Years », qui a dupliqué le projet en Thaïlande, au Japon et à Taïwan. Avec un même cahier des charges: imaginer son pays dans dix ans.

Dans sa partie de « Ten Years Thailand », « Catopia », le réalisateur Wisit Sasanatieng imagine un monde où les chats ont pris le pouvoir et poursuivent les derniers hommes, en une métaphore de l’écrasement récurrent en Thaïlande, par des coups d’Etat conservateurs, des gouvernements réformateurs élus.

« La Thaïlande est divisée entre démocrates et partisans de la dictature », résume le réalisateur, marqué par la répression meurtrière par l’armée d’une manifestation d’opposition en 2010.

-Chasse aux sorcières-

« Certains pensent que si vous militez pour la démocratie, vous êtes un sale type », témoigne Wisit, évoquant une atmosphère de « chasse aux sorcières », notamment sur les réseaux sociaux.

« Nous nous dissimulons et prétendons adhérer à la majorité, être un des leurs », commente la spectatrice Lalita Sirimongkol, filant la métaphore de « Catopia ». Employée d’une agence de publicité, elle confie son « malaise à voir exprimées (dans le film) toutes ces choses qu’on ne peut pas dire dans la société » thaïlandaise.

« Il s’agit de mélanger politique et science-fiction. Et d’imaginer notre société dans le futur, marquée par l’héritage de la junte », explique Chulayarnnon Siriphol, le cadet du quatuor de réalisateurs, âgé de 32 ans.

Sa partie, « Planetarium », est la plus ouvertement critique de la junte: une équipe de scouts, sous l’égide de la fameuse générale en uniforme rose, y épie la population jusque dans les toilettes, depuis les téléscopes d’un mystérieux observatoire. Le système d’expulsion des opposants dans l’espace est quant à lui contrôlé par un moine au visage dissimulé par un casque de moto.

« Je suis surprise que le film ait passé la censure », réagit Naya Adam-Ehrlich, entrepreneuse de Bangkok, à sa sortie de salle, toute mise en cause des instances bouddhistes ou militaires étant habituellement censurée.

Il y a quelques semaines, un réalisateur a dû couper une scène de moine en pleurs à des funérailles, signe de l’étonnante mansuétude du comité de censure du ministère de la Culture avec « Ten Years Thailand ».

Mais, explique Chulayarnnon, « il y a des limites à ce que je peux dire, une forme d’autocensure, sur la plus haute institution par exemple », expression par laquelle les Thaïlandais désignent la royauté. Il a d’ailleurs accepté de couper une séquence, à caractère potentiellement lèse-majesté, qui donnait des sueurs froides aux producteurs.

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