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Tunisie: A Ettadhamen la frondeuse, la colère des laissés-pour-compte

Ettadhamen a mauvaise réputation. Cité frondeuse et délaissée à 6 km du centre-ville de Tunis, elle est aussi un passage…

Ettadhamen a mauvaise réputation. Cité frondeuse et délaissée à 6 km du centre-ville de Tunis, elle est aussi un passage obligé pour les candidats « proches du peuple » soucieux de prouver qu’ils luttent pour la justice sociale et contre la pauvreté.

Avec 80.000 habitants vivant sur moins de 4 km2, Ettadhamen la poussiéreuse, Ettadhamen la bouillonnante, concentre la plupart des maux économiques et sociaux qui minent la démocratie tunisienne.

« Des infrastructures déficientes. Le chômage. Pas une seule maison culturelle. Des programmes en attente jamais réalisés. Il me faut des moyens, des moyens, des moyens », sourit Ridha Chihi, le maire de la cité, élu en 2018 sur les listes du parti à référentiel islamiste Ennahdha. En cette journée ensoleillée, il attend la venue d’Abdelfattah Mourou, le candidat de cette formation pour la présidentielle.

Le comité d’accueil est prêt: hommes, femmes et enfants agitent des fanions à l’effigie de M. Mourou, et lorsque celui-ci arrive, ils se précipitent, remontent la rue avec lui.

Mais ils sont peu nombreux, quelques dizaines tout au plus, dans une cité qui a toujours voté islamiste depuis la révolution de 2011. « Je suis un fils du peuple. Je dors comme vous, je mange comme vous, et j’ai vécu la misère comme vous », lance l’avocat tunisois. Il ne s’attarde pas.

– « Très au chômage » –

« Du cinéma », crache Issam, en suivant d’un regard noir le cortège qui s’en va. Puis il se présente avec un rire tendu: « Issam, 42 ans. Je suis célibataire, et je suis au chômage, très au chômage ».

Ce fléau -le taux national du chômage est de 15% en Tunisie, 18% dans la cité Ettadhamen-, ainsi que la cherté de la vie -une inflation de 7%, et un coût de la vie qui a augmenté de plus de 30% depuis 2016- ont généré « une crise de confiance généralisée envers l’élite politique », avertissait International Crisis Group en début d’année.

Et les réponses apportées par les politiques sont loin de satisfaire à Ettadhamen. Qu’il s’agisse des islamistes ou d’autres. Ainsi, lorsqu’on évoque le nom de Nabil Karoui, le sulfureux magnat des médias en prison, les épaules se haussent, au mieux.

La colère affleure: « On ne promet pas aux gens de changer la vie avec deux kilos de macaronis! » s’exclame Radhia Chebbi, une professeure de lycée. C’est une partisane d’Ennahdha, un parti inquiet de la montée de Karoui qui pourrait siphonner une partie de son électorat.

M. Karoui a multiplié ces dernières années les distributions d’aide alimentaire dans les régions défavorisées, opérations complaisamment relayées par la chaîne de télévision Nessma, qu’il a fondée.

– « Ras-le-bol » –

« Il ne faut pas se leurrer. Ennahdha achetait les électeurs en 2011 (après la révolution), Karoui fait la même chose aujourd’hui. Même s’il marque beaucoup de points, il y a ce ras-le-bol, ce rejet de toute la classe politique », analyse le politologue Hatem Mrad.

« Je n’ai pas entendu beaucoup de discours pertinents sur la pauvreté pendant cette campagne, je n’ai pas entendu de projets sur les moyens de réduire l’inégalité entre régions… une inégalité qui a quand même été la cause de l’explosion en 2011 », souligne-t-il.

L’économie a tenu une bonne place dans la campagne, avec un débat sur les politiques d’austérité ou la libéralisation, mais ce discours n’a pas de sens dans les rues les plus pauvres d’Ettadhamen.

Mabrouka, 62 ans, au chômage, vit avec sa fille de 25 ans et son fils de 30 ans, également sans emploi, dans l’unique pièce d’une maison insalubre, dont la structure inachevée est hérissée de tiges métalliques.

Le taudis a été filmé par des journalistes, des candidats s’y sont arrêtés. Cette fois-ci, c’est trop. La fille de Mabrouka hurle sa colère, claque la porte: ils sont tous venus, et il ne s’est jamais rien passé, crie-t-elle.

A quelques rues de là, Monia et Ali Maghraoui reçoivent dans leur maison dénudée, juste agrémentée d’une photo de leur jeune fils. Le mari, 42 ans, est au chômage depuis deux ans. Monia, 51 ans, travaille à la radio publique comme femme de ménage, pour 700 dinars par mois (220 euros), une paye plus élevée que le salaire minimum (450 dinars) mais qui ne lui permet pas de joindre les deux bouts.

« Je suis très fatiguée », souffle cette maigre brune qui souffre de problèmes de thyroïde. Elle se lève chaque jour à 5 heures du matin. Et a beaucoup de travail en cette période de campagne: « il faut que ce soit propre, car la radio reçoit les candidats ».

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