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Vanessa Springora, la revanche par l’écrit d’une adolescence volée

Elle aurait pu rester anonyme. Mais Vanessa Springora a décidé de prendre "le chasseur à son propre piège" en racontant…

Elle aurait pu rester anonyme. Mais Vanessa Springora a décidé de prendre « le chasseur à son propre piège » en racontant sa relation sous emprise, à 14 ans, avec Gabriel Matzneff, l’écrivain amateur de jeunes filles.

Trente ans après les faits, cette éditrice de 47 ans a voulu l' »enfermer dans un livre », « Le Consentement », qui sort jeudi chez Grasset.

Elle est la première à témoigner parmi les adolescentes séduites par l’auteur longtemps fêté par le milieu littéraire, aujourd’hui âgé de 83 ans.

Nommée récemment directrice des Éditions Julliard, elle est née en 1972, d’un mariage qui ressemblait à « une guerre sans fin ». Elle se rappelle dans son livre un père comme un « courant d’air » qui après le divorce ne refera plus que de brèves apparitions dans sa vie d’enfant.

– « Besoin d’être regardée » –

« Un père aux abonnés absents », « un goût prononcé pour la lecture », « une certaine précocité sexuelle » et « un immense besoin d’être regardée »: c’est dans cet état d’esprit qu’elle rencontre Matzneff, à l’âge de 13 ans.

Sa mère la traîne dans un dîner à Paris où sont invitées des personnalités du monde littéraire, dont ce « bel homme » à la calvitie « qui lui donne un air de bonze » et à la « présence cosmique ».

Elle confond le sourire de l’homme presque quinquagénaire avec « un sourire paternel » et mord à l’hameçon. « G.M. » la guette dans la rue, l’attend près de l’entrée de l’école. Elle se dit « transie d’amour », avec « le sentiment de commettre une immense transgression ».

« Il se vante de son expérience, du savoir-faire avec lequel il est toujours parvenu à ôter leur virginité aux très jeunes filles, sans jamais les faire souffrir ».

Il lui parle de l’initiation sexuelle de jeunes personnes sous l’Antiquité, du poète Edgar Allan Poe qui a épousé sa cousine de 13 ans et « peste contre ces Américains (…) qui ont persécuté ce pauvre Roman Polanski… »

Springora refuse de se séparer de celui qui l’a changé en « déesse ». « Plutôt mourir », répond-elle à sa mère qui finit par s’accommoder de la présence de Matzneff.

– « Existence gâchée » –

« Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente six ans son aîné? » Elle tardera beaucoup à savoir que la question est « mal posée dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger mais la sienne ».

Elle est sa « belle écolière » et ce n’est qu’un an plus tard qu’elle découvre que ses livres sont « peuplés d’autres Lolita de 15 ans » mais aussi de garçons, qu’il « préfère imberbes, 12 ans, maximum ».

« Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance: un ogre ».

Dans un rare moment de confidence, il lui confie qu’un proche de la famille l’a « initié » lui-même à 13 ans.

Naît alors chez elle un « sentiment profond d’une existence gâchée avant d’avoir été vécue ». Elle en veut à sa mère qui ne l’a pas assez protégée et, rétrospectivement, à une époque jugée trop « complaisante ».

Alors que Matzneff est convoqué à plusieurs reprises par la Brigade des mineurs à la suite de lettres anonymes –sans être pour autant inquiété–, elle ressent une « culpabilité constante » et s’absente fréquemment de l’école.

« A quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposé vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter ».

Lucide, elle affirme s’être débattue pendant de longues années avec la notion de victime, « incapable de m’y reconnaître ».

Après des études de lettres modernes, elle débute sa carrière comme réalisatrice-auteure avant de devenir éditrice. Mais c’est l’octroi en 2013 du prix Renaudot à Matzneff qui la pousse à l’écriture.

« J’ai commencé à écrire bien avant l’affaire Weinstein », affirmait-elle dans une interview à L’Obs. Elle est contre la censure des livres de Matzneff, « le marqueur d’une époque », mais pour l’inclusion d’un avertissement rappelant que les faits décrits sont condamnables.

Surprise qu’aucune autre fille n’ait parlé, elle dit toutefois comprendre. « Il est extrêmement difficile de se défaire d’une telle emprise », dit-elle dans le livre.

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