GENÈVE. Les rues de Tanzanie portent encore les stigmates du scrutin du 29 octobre. Ce mardi, la voix de Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a brisé un silence assourdissant. Son verdict est sans appel : derrière les résultats officiels se cacherait un lourd bilan humain, fait de « centaines de manifestants et d’autres personnes tués », selon des informations recueillies par son organisation.
Le tableau dressé depuis Genève est sombre. Des corps qui disparaissent mystérieusement, des familles errant « d’un commissariat à l’autre et d’un hôpital à l’autre » dans une quête désespérée, des forces de sécurité accusées de faire disparaître les preuves. Le récit aurait presque des allures de cauchemar s’il ne s’agissait pas de la réalité tanzanienne.
La macabre traque aux corps
« Des informations inquiétantes font état de forces de sécurité en train de retirer des corps des rues et des hôpitaux pour les transporter vers des lieux non divulgués, dans une tentative apparente de dissimuler des preuves. » La déclaration de Türk frappe par sa crudité. Elle suggère une entreprise systématique d’effacement des traces, comme si la mort elle-même devait être mise sous silence.
Face à cette situation, le Haut-Commissaire lance un appel poignant : « J’exhorte vivement les autorités tanzaniennes à fournir des informations sur le sort et le lieu où se trouvent toutes les personnes disparues, et à remettre les corps des victimes à leurs familles. » La demande, simple en apparence, touche à l’essence même de la dignité humaine : permettre aux vivants d’enterrer leurs morts.
L’impossible décompte
Le Haut-Commissariat se heurte à un mur d’opacité. Impossible de vérifier indépendamment le nombre exact de victimes. Deux obstacles majeurs empêchent toute enquête sérieuse : « l’instabilité sécuritaire et la coupure d’Internet qui a suivi le vote« . Un black-out numérique qui rappelle les pires heures des régimes autoritaires.
Dans cette atmosphère étouffante, les arrestations se multiplient. « Plus de 150 personnes » auraient été interpellées depuis le scrutin, souvent sans « fondement juridique clairement établi ». Parmi elles, des enfants, accusés de trahison – un chef d’accusation lourd de sens dans un pays où l’opposition étouffe.
Les prisonniers de la démocratie
La liste des détenus arbitraires s’allonge. Tundu Lissu, chef du parti d’opposition Chadema, figure en tête d’affiche de ces arrestations. Mais il n’est pas seul. « Toutes les figures de l’opposition arrêtées avant les élections générales » doivent être libérées « immédiatement et sans condition », exige Türk.
Le Haut-Commissaire rappelle les fondamentaux : « Il est essentiel que toutes les personnes arrêtées puissent contester efficacement la légalité de leur détention. » Un principe bafoué dans la Tanzanie post-électorale, où la justice semble avoir cédé la place à la raison d’État.
Alors que les familles cherchent toujours leurs disparus, que les corps manquent à l’appel et que l’opposition croupit en prison, une question demeure : la communauté internationale saura-t-elle faire plus qu’exprimer sa « profonde préoccupation » ? Le temps des exhortations est peut-être révolu. Place maintenant à l’action.
