Thiaroye : la mémoire comme combat panafricain

Le camp militaire de Thiaroye, ce 1er décembre, n’est plus seulement un lieu de recueillement. Sous le soleil de Dakar,…

Journal du Sénégal

Le camp militaire de Thiaroye, ce 1er décembre, n’est plus seulement un lieu de recueillement. Sous le soleil de Dakar, il est devenu une tribune. Une tribune d’où le Pr Mamadou Diouf, président du Comité pour la commémoration du massacre des tirailleurs sénégalais, a lancé un appel qui dépasse les frontières du Sénégal et du temps.

Face au président Bassirou Diomaye Faye, au président gambien Adama Barrow, et aux représentants de tous les pays dont étaient originaires les tirailleurs, le professeur a exigé une « relecture courageuse » de la tragédie de 1944. Soixante-douze ans après les faits, quatre-vingt-un ans après les balles françaises, le temps est venu, dit-il, de « rétablir la vérité » et de construire une mémoire panafricaine assumée.

Inscrire la date, réécrire l’histoire

Le premier acte de cette bataille mémorielle est officiel : le 1er décembre est désormais inscrit dans le calendrier républicain sénégalais, sur décision du président Faye. Pour Diouf, cette décision n’est pas symbolique, elle est stratégique. Elle permet d’« entretenir la mémoire, interroger les archives, confronter l’histoire aux fabulations, traquer les mensonges ». Autrement dit, d’empêcher que le récit colonial ne reste le récit dominant.

Car les zones d’ombre persistent. Qui étaient vraiment ces 1 200 à 1 800 hommes abattus pour avoir réclamé leur solde ? D’où venaient-ils exactement ? Le Pr Diouf le rappelle : ces « tirailleurs sénégalais » venaient de 17 territoires coloniaux, du Bénin au Burkina Faso, du Mali à Madagascar. Leur mémoire, affirme-t-il, doit donc être panafricaine.

Reconnaissance, excuses, réparations : le triptyque de la justice mémorielle

Le cœur du discours de Mamadou Diouf est un appel à l’action, adressé aux États africains. Il les exhorte à s’unir pour exiger trois choses des anciennes puissances coloniales :

  1. La reconnaissance officielle des crimes coloniaux, en commençant par le massacre de Thiaroye.

  2. Des excuses publiques et sans équivoque.

  3. L’ouverture de discussions sur les réparations dues aux victimes et à leurs descendants.

Cette exigence s’inscrit dans ce qu’il appelle la « démocratie mémorielle », un pilier de la politique étrangère du Sénégal. Il ne s’agit pas de ranimer la haine, mais d’établir la justice comme fondement d’une relation nouvelle.

De Thiaroye à une « constellation mémorielle » africaine

L’ambition du Pr Diouf est plus large encore. Il ne veut pas que Thiaroye reste un événement isolé, commémoré une fois par an. Il veut en faire le noyau d’une « constellation historique et mémorielle » qui rayonne sur toute l’Afrique de l’Ouest, sur le continent, et sur les anciens espaces coloniaux.

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Le Livre blanc sur le massacre, actuellement en cours de finalisation, doit selon lui servir de socle à un vaste programme : recherches historiques approfondies, créations artistiques, initiatives pédagogiques en langues nationales. L’objectif est clair : ancrer cette mémoire dans la chair vive des peuples, pour les générations futures.

Une cérémonie sous haute présence diplomatique

La solennité de l’appel était à la hauteur de l’assistance. Avant de rejoindre le camp, le président Faye s’était recueilli au cimetière des tirailleurs, une gerbe de fleurs à la main. À ses côtés, le président Barrow et des délégations de nombreux pays frères. Le Premier ministre Ousmane Sonko, le président de l’Assemblée Malick Ndiaye, le gouvernement, le corps diplomatique, l’armée : tous étaient là.

Cette présence massive envoie un signal. Elle dit que la mémoire de Thiaroye n’est plus une affaire d’anciens combattants ou d’historiens. Elle est devenue une cause d’État, et même une cause continentale.

Quatre-vingt-un ans après, les balles de Thiaroye résonnent encore. Non plus comme un bruit de guerre, mais comme un appel à la vérité, à la justice et à une mémoire enfin partagée. Le Sénégal, par la voix du Pr Diouf, a fixé le cap : la réconciliation avec le passé passe par une reconnaissance sans fard des crimes coloniaux. Le chemin sera long, mais il est désormais tracé.

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