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Conte d’une solidarité pas si ordinaire dans le Mali en guerre

Il faut voir à quelle vitesse se remplit la cour d'Issa Haïdara quand la nuit tombe sur Ségou, dans le…

Il faut voir à quelle vitesse se remplit la cour d’Issa Haïdara quand la nuit tombe sur Ségou, dans le centre du Mali. Des dizaines de personnes entrent une par une dans sa cour par une petite porte en métal.

En temps normal, il habite là avec sa femme, ses cinq enfants et sa tante. Alors qui sont les 29 individus qui viennent d’envahir la parcelle ? « Des déplacés, par la grâce de Dieu, c’est ça le Mali! », répond-il en souriant.

L’homme de 51 ans en boubou noir est tailleur. Il annonce gagner 5.000 francs CFA (8 euros) les bons jours, parfois plus, parfois moins. Mais il n’a pas hésité une seconde quand des Maliens fuyant la guerre ont débarqué à Ségou sans le sou et par milliers.

« C’est le Mali, c’est la coutume, c’est Dieu qui veut ça », répète-il à l’envi. A l’entendre, qui oserait refuser des familles qui frappent à sa porte, demandant le gite sans rien avoir à offrir en retour ? Lui, en tout cas, ne fait pas partie de ceux-là.

Parmi les premiers arrivants il y a six mois étaient Amadou Semasekkou, 58 ans, sa femme et leurs cinq enfants. Ils fuyaient le village peul de Mamba, dans la région de Mopti, en proie à des violences communautaires entre populations bambara et dogon d’une part, et les jihadistes du prédicateur Amadou Koufa de l’autre.

Les violences apparues dans le nord du Mali en 2012 se sont propagées au centre du pays à partir de 2015. Elles se sont doublées de conflits intercommunautaires qui se sont traduits par des massacres de civils, s’étendant notamment au Niger et au Burkina Faso.

Des années de conflit ont poussé des centaines de milliers de Maliens à fuir. Une commission spécialisée dénombre aujourd’hui plus de 300.000 Maliens loin de chez eux: près de 140.000 réfugés en Mauritanie, Niger et Burkina Faso, plus de 170.000 déplacés à l’intérieur du Mali même, dont 20.000 rien qu’à Ségou, relativement épargné par la violence.

– Des mois d’exode –

Parmi eux, 29 vivent à présent chez Issa Haidara, où des nattes ont été déposées dans la cour et le salon réaménagé pour faire une nouvelle pièce à coucher.

Au vilage, Amadou Semasekkou cultivait le mil. Mais en 2017, les « terroristes » sont arrivés à Mamba et l’ont enlevé. « J’ai passé un an et demi avec eux dans la forêt, j’allais cultiver dans les champs pour eux », explique-t-il, une paire de lunettes déglinguées sur le nez, vêtu d’un large boubou violet.

Un jour, ils l’ont laissé partir et il est retourné à Mamba voir sa famille pour ensuite prendre le chemin de l’exil.

La route a duré des mois, il s’est arrêté dans plusieurs villes avant de mettre le pied à Ségou, et rapidement, chez Issa Haidara.

Aujourd’hui, il fait des petits boulots, « de la maçonnerie, des travaux aux champs ». Il marche dans Ségou et propose ses services pour 1.500 francs CFA (2,5 euros) la journée.

Errer dans Ségou, c’est aussi le quotidien d’Awa Pamata, 27 ans, deux enfants à charge. Pour 1.000 francs CFA (1,5 euros) la journée, elle propose aux de laver des vêtements dans le fleuve Niger auquel Ségou est accolée.

– Mise au pot –

C’est peu, mais « c’est toujours ça pour le pot commun », dit-elle. Car tous ceux qui habitent chez Issa Haïdara participent, autant qu’ils peuvent, à l’effort collectif.

De la manutention au marché pour les jeunes, du nettoyage pour les femmes, des chantiers pour les hommes: chacun ramène le pécule gagné pour acheter de quoi nourrir les nombreuses bouches.

« Avant qu’ils (les déplacés) n’arrivent, j’achetais 50 kg de riz et ça durait plus d’un mois. Maintenant, on est passé à 150 kg par mois, et ça ne suffit parfois pas », explique Issa Haïdara. Les distributions de nourriture du gouvernement et des ONG améliorent ponctuellement l’ordinaire.

Chaque franc compte et toutes les mains sont utiles.

Celles des enfants aussi ? Non, affirme-t-il. Au Mali, le travail des enfants est largement répandu, et contribue au faible taux de scolarisation du pays.

Presque aucun enfant parmi la quinzaine présents ici ne va à l’école. Ils sont là à jouer à la marelle ou à se tresser les cheveux, courent partout.

« Au moins, ils s’amusent ! », relève Awa Pamata. Il y a peu les rires n’étaient plus de mise…

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