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L’ex-creuseur de tunnels berlinois sauvé par un « héros » de la Stasi

"Il n'y avait pas que des pourris dans la Stasi" : opposant au régime d'ex-RDA, Boris Franzke creusait des tunnels…

« Il n’y avait pas que des pourris dans la Stasi » : opposant au régime d’ex-RDA, Boris Franzke creusait des tunnels sous le Mur de Berlin, mais doit la vie à un « héros » de sa redoutée police politique.

A 80 ans, ce Berlinois fluet mais vif est l’un des rescapés de ce début des années 1960, en pleine Guerre froide, où les tentatives souterraines pour fuir Berlin-Est communiste pour l’Ouest capitaliste se sont multipliées.

« A l’origine, la politique ne m’intéressait pas. Je ne me sentais pas concerné par les tensions entre l’Union soviétique et l’Occident », explique à l’AFP M. Franzke.

La donne change brusquement dans la nuit du 12 au 13 août 1961 quand, pour enrayer les fuites massives d’Allemands de l’Est à l’Ouest – plus de 2,7 millions entre 1949 et 1961 -, les Soviétiques bloquent les accès menant à Berlin-Ouest.

Aux barbelés installés en quelques heures pour empêcher tout passage succède rapidement un véritable mur, bordé d’un no man’s land sillonné par les gardes armés.

« Cette fameuse nuit fut le déclic » : d’un coup, le jeune homme d’alors 22 ans ne pouvait plus aller voir sa fiancée, ses amis ou sa famille, qui « vivaient à Berlin-Est ».

Né quelques mois avant le déclenchement de la Deuxième guerre mondiale, il n’a connu « que les destructions, puis les difficiles années d’après-conflit : la division du pays, le pont aérien de Berlin ».

– Trahisons –

« Nous manquions de tout! J’avais seulement soif de liberté », et il fallait « coûte que coûte les récupérer », se souvient-il.

Son frère Eduard, dont l’épouse et ses deux enfants vivent aussi « de l’autre côté », lui propose la voie souterraine, mais leur premier tunnel est dénoncé et la famille restée à l’Est emprisonnée.

« Nous étions détruits. On s’est alors dit qu’on allait continuer car chaque personne qu’on ramenait à l’Ouest permettait d’affaiblir un peu plus la RDA », s’exclame-t-il, les yeux humides.

Jusqu’en 1964, les frères participent à la construction de sept tunnels, dont deux couronnés de succès. Entre 26 et 28 Est-Allemands, selon M. Franzke, ont pu en bénéficier.

« A sa manière, Boris Franzke était certainement un résistant », estime auprès de l’AFP l’historien Sven Felix Kellerhoff, coauteur de « Vers la liberté par le sous-sol ».

Pour lui, ces « jeunes hommes courageux », car il n’y avait pas de femmes parmi les creuseurs de tunnels, ont offert une « aide à l’évasion altruiste, qui n’a jamais impliqué de paiement, dont le seul but était d’affaiblir le régime du parti unique » en ex-RDA.

En tout, 75 tunnels ont été creusés en 28 ans d’existence du Mur : seuls 19 ont permis à des fugitifs – environ 400 – de rejoindre l’Ouest, selon l’organisme « Berlin Unterwelten », qui organise des visites thématiques dans la capitale allemande.

Un nombre d’évasions relativement faible comparé aux 800 par les canalisations ou les 10.000 par faux-papiers. Mais « leur côté spectaculaire, faisant toujours la Une des journaux, a fait beaucoup de mal à la RDA », estime Dietmar Arnold, auteur de plusieurs livres à ce sujet.

– Traquenard –

Le souvenir le plus marquant de M. Franzke remonte à la fin de l’été 1962 : les deux frères, qui se sont fait un nom dans le cercle fermé des « creuseurs », veulent faire passer à l’Ouest plusieurs connaissances d’un ami.

L’endroit, aux confins du secteur Ouest de la capitale et de la région communiste voisine, est peu surveillé. Cinq semaines durant, les Franzke et deux amis creusent nuit et jour un tunnel de 80 centimètres de diamètre pour ressortir 80 mètres plus loin, dans un jardin où doivent se retrouver 13 candidats à l’évasion.

Mais arrivés à destination, c’est le traquenard : au lieu des « passagers » prévus, arrêtés quelques jours avant, des agents de la Stasi les attendent. Trois des creuseurs s’enfuient par le tunnel mais leur ami Harry Seidel, sorti en premier, est interpellé.

Condamné à la prison à vie, cet « ennemi public numéro 1 » du parti unique sera « racheté » en 1966 par le gouvernement ouest-allemand, une pratique courante à l’époque.

Boris Franzke devra pourtant attendre les années 2010 pour apprendre qu’il a échappé à la mort : exaspérées par Harry Seidel et les frères Franzke, les autorités est-allemandes voulaient faire sauter le tunnel avec 5 kg d’explosifs.

– Sabordage –

« Le dispositif était prêt mais au moment de l’allumage, rien! La mèche avait été sectionnée », jubile le rescapé.

Quant à l’auteur du sabotage, il s’agit probablement, selon les historiens, de l’artificier de la Stasi Richard Schmeing, décédé en 1984 en emportant ses secrets.

« Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est mon héros. Il a mis sa vie en danger pour en sauver quatre », considère M. Franzke.

Emprisonné sous le nazisme pour son appartenance au parti communiste puis rescapé du camp de Buchenwald, M. Schmeing a travaillé de 1949 à 1968 pour la Stasi.

Les raisons de son geste restent encore difficiles à cerner : acte de bravoure? Mauvaise conscience? Il est probable aussi que la présence inopinée d’un jeune couple à proximité des explosifs ait joué, avance M. Kellerhoff.

« 80% des tunnels ont été creusés entre l’érection du Mur, à l’été 1961, et octobre 1964, lorsqu’un garde-frontière a été soi-disant abattu par un fuyard, explique Marc Boucher, guide à « Berlin Unterwelten ». Cet événement a fait basculer l’opinion publique à l’Ouest, jusqu’alors plutôt favorable à ces méthodes d’évasion.

Il a fallu attendre la Réunification pour apprendre que cet homme avait, en réalité, été accidentellement tué par l’un de ses camarades.

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