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Mandat d’arrêt: la justice de l’UE tranche une question sensible pour la France

Le parquet français peut-il émettre un mandat d'arrêt européen? La Cour de justice de l'UE pourrait mettre la France en…

Le parquet français peut-il émettre un mandat d’arrêt européen? La Cour de justice de l’UE pourrait mettre la France en difficulté si elle répondait non à cette question jeudi, conformément à la recommandation de l’avocat général.

La juridiction européenne, qui siège à Luxembourg, est appelée à trancher dans la matinée un cas soumis par les justices néerlandaise et luxembourgeoise.

Celles-ci l’ont interrogée sur la validité de deux mandats d’arrêt européen (MAE) émis en avril par les parquets de Lyon (centre-est) et de Tours (ouest), souhaitant chacun la remise, respectivement par le Luxembourg et les Pays-Bas, d’une personne suspectée d’infractions.

La question est la suivante: le ministère public (ou parquet) français, qui est compétent dans ce pays pour émettre les MAE, est-il suffisamment indépendant pour être l’autorité d’émission?

Le 26 novembre, dans des conclusions très argumentées, l’avocat général auprès de la CJUE Manuel Campos Sanchez-Bordona avait répondu par la négative.

Il rappelait notamment qu’il existe en France, avec les « instructions générales de politique pénale », une forme de soumission aux desiderata du pouvoir exécutif, en l’occurrence du ministre de la Justice.

Sans oublier « la structure hiérarchique caractéristique du parquet », dont les membres, les procureurs, sont subordonnés dans leurs tribunaux au chef du parquet général, nommé par le gouvernement.

M. Sanchez-Bordona, dont l’avis peut être suivi ou pas, a livré son interprétation de ce que doit être « l’autorité judiciaire d’émission » évoquée dans le texte officiel de l’UE ayant donné naissance au MAE en 2002.

« Le ministère public ne peut pas être qualifié d’+autorité judiciaire d’émission+ si, lorsqu’ils décident d’émettre un mandat d’arrêt européen, ses membres doivent se conformer aux instructions générales de politique pénale émises par le ministre de la Justice et contraignantes pour ce type de mandat, ainsi qu’aux instructions de leurs supérieurs hiérarchiques », a-t-il relevé.

– « Absence de garanties » –

« Une personne recherchée sur la base d’un mandat d’arrêt européen émis par le ministère public d’un Etat membre (…) doit pouvoir former un recours contre ce mandat devant un juge ou une juridiction de cet Etat, sans devoir attendre sa remise, dès que le mandat a été émis (sauf si cela risque de compromettre la procédure pénale) ou lui a été notifié », a ajouté l’avocat général.

Les doutes émis aux Pays-Bas et au Luxembourg sur le parquet français ont aussi été soulevés à l’égard des ministères publics suédois et belge, dans d’autres cas soumis à la CJUE.

Au-delà de la France, où 1.736 MAE ont été émis en 2018, « un flux en augmentation constante » selon la ministère de la Justice, la décision de jeudi pourrait avoir des conséquences sur l’exécution de mandats d’arrêt provenant d’autres Etats membres.

Un jugement rendu en mai par la Cour de Luxembourg avait déjà remis en cause la compétence du parquet allemand comme autorité émettrice, ouvrant une brèche dans ce dispositif européen.

Décidé en 2002, le mécanisme du mandat d’arrêt européen s’est substitué en 2004 dans l’UE aux lentes procédures d’extradition, qui devaient transiter par le pouvoir exécutif.

Ce mécanisme repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre Etats membres de l’Union. L’exécution du mandat par le pays destinataire est toutefois soumise à un certain nombre de conditions.

En France, une loi de 2013 a supprimé les instructions au parquet sur des cas individuels. Toutefois, la possibilité pour le ministre de la Justice de donner des instructions générales a été maintenue.

« Dans le système français, il y a une absence de garanties pour prévenir l’influence indirecte du gouvernement dans une affaire particulière », estime Me Philippe Ohayon, un avocat français coutumier de la procédure du mandat d’arrêt.

Il suggère que ce mandat puisse être soumis à l’approbation d’un magistrat du siège, indépendant, comme le JLD (juge des libertés et de la détention).

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