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Pas d’allemand, pas d’aide au logement: l’Autriche hausse la barre pour les immigrés

Avoir trimé durant des années en Autriche et être privé d'aide parce qu'on ne maîtrise pas suffisamment l'allemand: la mesure…

Avoir trimé durant des années en Autriche et être privé d’aide parce qu’on ne maîtrise pas suffisamment l’allemand: la mesure inspire un sentiment d’injustice à des centaines d’étrangers qui se sentent de moins en moins acceptés dans le pays.

« J’ai travaillé dur, j’ai nettoyé partout », constate amèrement une ancienne femme de ménage dont le revenu a été amputé de presque 150 euros d’allocation logement, soit plus de la moitié du loyer de son appartement à Linz, à 180 kilomètres de Vienne.

Cette femme serbe, qui souhaite conserver l’anonymat, confie à l’AFP qu’après 24 ans à travailler en Autriche, elle n’a pu présenter le certificat justifiant du niveau de langue désormais requis dans le Land de Haute-Autriche pour toucher cet argent.

« Je ne peux pas suivre de cours d’allemand, je me fatigue facilement et je ne peux pas me concentrer », explique l’ancienne salariée de 63 ans, aujourd’hui reconnue invalide et soignée pour différentes pathologies, sans activité professionnelle.

Elle a décidé de porter plainte pour discrimination basée sur l’origine ethnique et le handicap, bien décidée à contester la mesure en vigueur depuis 2018 et emblématique du durcissement de l’Autriche, à l’instar d’autres pays européens, sur les questions d’immigration et d’intégration.

Ces sujets avaient été au coeur des élections législatives d’octobre 2017 qui avaient porté au pouvoir une coalition entre la droite (ÖVP) et l’extrême-droite (FPÖ), restée en place jusqu’en mai dernier.

Le scrutin anticipé qui se tiendra le 29 septembre pour trouver une nouvelle majorité ne devrait pas infléchir cette politique : les conservateurs sont donnés largement en tête et pourraient reconduire leur alliance avec les nationalistes.

– Précarisation –

Le critère du niveau de langue ne s’applique pour l’instant que dans la province de Haute-Autriche (nord). Mais avant d’imploser, le gouvernement dirigé par Sebastian Kurz a fait adopter une disposition d’inspiration similaire qui rendra obligatoire, à partir de 2020, de maîtriser suffisamment l’allemand pour toucher l’intégralité du revenu minimum garanti (Mindestsicherung) versé aux personnes sans ressources.

« Nous devons combattre la pauvreté, pas les personnes qui en souffrent », dénonce l’organisation caritative Caritas, s’inquiétant des conséquences de la réforme sur un public fragile. L’ex-chancelier Kurz dit vouloir « stopper l’immigration aux dépens du système social » et renforcer l’incitation à apprendre l’allemand.

L’opposition rétorque que sous son gouvernement, les fonds alloués aux cours de la langue pour les nouveaux arrivants ont été réduits. La coalition sortante a également supprimé la possibilité pour les demandeurs d’asile d’entamer un apprentissage avant d’avoir obtenu le statut de réfugié et a augmenté le nombre d’expulsions des personnes déboutées.

Quatre ans après la crise des réfugiés de 2015, alors que le nombre de demandes d’asile a reflué en Autriche, la question de l’immigration joue dans la campagne électorale un rôle moins central qu’il y a deux ans.

Mais d’après un sondage réalisé par l’hebdomadaire Profil, 51,2% des Autrichiens estiment que le « vivre ensemble » s’est dégradé ces dernières années dans ce pays prospère de 8,8 millions d’habitants où environ un habitant sur cinq est né à l’étranger ou a des parents nés à l’étranger, l’un des taux les plus élevés de l’UE.

– Ecole ou travail ? –

En Haute-Autriche, plus de 3.000 immigrés originaires de pays non membres de l’Union européenne sont concernés par la nouvelle mesure sur l’aide au logement, selon l’association Migrare qui a déjà aidé une dizaine d’entre eux à porter l’affaire en justice.

Sans l’aide sociale, « je n’achète que des choses bon marché, pas de vêtements, juste de la nourriture pour les enfants », explique l’ancienne femme de ménage qui a deux petites-filles adolescentes à charge.

Un père de famille d’origine turque a obtenu gain de cause en première instance, en arguant qu’il lui était impossible de suivre des cours à cause de ses horaires de travail décalés. La région serait en train d’étudier certaines exemptions. Son vice-gouverneur d’extrême-droite, en charge du logement, n’a pas répondu à une demande d’entretien de l’AFP.

Selon Hans-Jürgen Krumm, chargé des études germanophones à la faculté des langues de Vienne, conditionner les aides sociales aux compétences linguistiques est contreproductif et « contribue clairement à la désintégration ».

Et selon le professeur, un « pourcentage élevé » de citoyens autrichiens ne réussiraient pas ces tests s’ils leur étaient imposés.