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Sénégal : en quête d’archéologie pour tous

Des archéologues sénégalais œuvrent pour la démocratisation de leur discipline à travers une exposition itinérante qui a fait halte au…

Des archéologues sénégalais œuvrent pour la démocratisation de leur discipline à travers une exposition itinérante qui a fait halte au Centre de recherche de l’Afrique de l’Ouest (Warc, sigle en anglais) de Dakar au Sénégal.

Un pectoral en or, un disque en cuivre, des objets en métal cuivreux, une collection de barres de laiton et des cauris abandonnés dans le Sahara mauritanien, des fragments de fibres textiles… A travers neuf bannières, l’exposition itinérante présente l’importance de l’archéologie pour comprendre l’histoire et la culture du Sénégal.

« L’Archéologie au Sénégal », nom de l’exposition, explique comment la culture matérielle contribue à la compréhension des valeurs, des expériences et de la complexité du Sénégal. Elle explore plusieurs des nombreux sites de découverte archéologique du Sénégal et fait revivre certains de ses trésors.

L’identification des techniques, les relations entre l’Homme, l’animal et l’environnement ou encore la façon de conserver voire restaurer les objets archéologiques sont autant de sujets abordés.

Ce travail est le fruit d’une collaboration entre l’Unité de Recherche en ingénierie culturelle et en anthropologie (Urica) de l’université de Dakar, le Warc, le bureau des partenariats stratégiques du Musée National de l’histoire et de la culture afro-américaine (NMAAHC, sigle en anglais) et le Service des expositions itinérantes (Sites) de l’Institution Smithsonian.

« Nous essayons de repenser le rapport que l’université, la recherche scientifique d’une manière générale, a avec nos communautés. Dans la plupart de nos laboratoires, de nombreuses choses se passent. Malheureusement, elles ne parviennent à la population sous des formes digestes », a expliqué le Commissaire de l’exposition, Professeur Ibrahima Thiaw.

Pour lui, « il n’est pas normal d’aller dans le village le plus reculé du Sénégal, d’effectuer des recherches, les publier dans un article de côte A, et que la communauté de là où vous avez fait ces travaux n’a aucune idée de ce que vous avez trouvé et de les représenter sous des formes qu’elle n’est pas en mesure de contester. C’est un problème ».

Pour corriger cette anomalie, « L’Archéologie au Sénégal » s’est fixé comme objectif de vulgariser la discipline. Cela, a indiqué M. Thiaw, reviendrait à comprendre la valeur éducationnelle de l’archéologie, mais aussi de faire en sorte que chacun puisse en tirer profit.

« Pour que l’archéologie soit démocratique, il faut qu’elle soit accessible, plus digeste pour que l’on puisse montrer sa vraie valeur », a souligné le Commissaire de l’exposition.

Ce processus a d’ailleurs commencé grâce à la traduction en wolof, premier dialecte au Sénégal, des légendes qui accompagnent chaque photo. « Nous nous sommes engagés à aider les étudiants et les enseignants sénégalais à voir l’archéologie en pratique. Cette expression de bannières (français et wolof) permet de connecter les enfants à leur histoire d’une manière visuellement attrayante et facilement accessible », a fait savoir Professeur Ibrahima Thiaw.

Par ailleurs, des audios en pulaar et en sereer, deux autres langues répandues, seront bientôt disponibles. Selon ce spécialiste, il y a une sorte de fétichisation de l’écriture qui nous fait croire que tout ce qui n’est pas écrit n’a pas de valeur.

« Il faut véhiculer ces informations par l’outil le plus approprié et qui soit beaucoup plus adapté à nos réalités culturelles. Il est donc important que ces données soient dans nos langues nationales, sous une forme écrite d’accord, mais également sous forme d’audios. La technologie nous permet aujourd’hui de le faire. Et nous devons en profiter », a plaidé M. Thiaw.

Restaurer la dignité de l’Homme noir

Au-delà de rendre accessible cette science, « L’Archéologie au Sénégal » ambitionne de réhabiliter l’Homme noir. « Quand Descartes dit +je pense donc je suis+ au 18ème siècle, à cette époque pour lui +et je pèse bien mes mots+ il y avait des gens qui pouvaient penser et d’autres qui en étaient incapables. C’est en pleine période de l’esclavage. Le noir était considéré comme incapable de penser. Et ça a été, pendant longtemps, l’histoire racontée par l’Europe durant le siècle des lumières », a rappelé le chercheur sénégalais.

A l’en croire, cette condescendance est parfois reproduite sous une forme déguisée dans les ouvrages et articles. Partant de ce constat, Professeur Ibrahima Thiaw a estimé indispensable de rétablir notre histoire.

« On nous apprend toujours que presque toutes les disciplines sont l’œuvre des Grecs ou des Romains. Mais non ! Il faut que l’on reconnaisse la contribution des Noirs à l’histoire universelle. Et ces objets nous permettent de déconstruire cette une idéologie », a-t-il espéré.

C’est en tout cas, a ajouté M. Thiaw, le sens de cette exposition : « Raconter notre histoire à partir des objets. Et nous voulons que ça soit transformationnel et accessible à nos enfants, mais également à toutes les couches de la société. Parce qu’après tout, c’est le contribuable sénégalais qui paie nos salaires et finance nos recherches ».

« L’Archéologie au Sénégal » a mobilisé, durant cinq ans, une trentaine de chercheurs. L’exposition est encore visible au Warc pour plusieurs jours avant de rejoindre définitivement l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) qui héritera des droits exclusifs de propriété.