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Somalie: les shebab toujours aussi redoutables après une décennie sanglante

Lors de la décennie écoulée, les shebab ont perdu des territoires, connu des défections et subi les frappes aériennes américaines.…

Lors de la décennie écoulée, les shebab ont perdu des territoires, connu des défections et subi les frappes aériennes américaines. Mais pour les analystes, le groupe islamiste, qui bénéficie de la faiblesse du pouvoir central somalien, constitue une menace toujours aussi élevée.

Malgré les coûteux efforts internationaux pour les combattre, les shebab ont mené samedi l’une des attaques les plus meurtrières de la décennie en Somalie, causant 81 morts dans l’explosion d’un véhicule piégé à Mogadiscio.

« La vraie marque de fabrique des shebab, c’est leur résilience », estime pour l’AFP Matt Bryden, directeur du groupe de réflexion spécialisé Sahan, basé à Nairobi.

« Les dirigeants du mouvement ont été tués dans des attaques de drones et des raids de commandos, plusieurs de leurs artificiers ont été tués et pourtant les shebab continuent à mener une guérilla conventionnelle contre les forces ennemies, à fabriquer des bombes et à construire une efficace infrastructure financière et administrative », ajoute-t-il.

Pour l’expert, le pouvoir de nuisance de ce groupe affilié à Al-Qaïda en Somalie et dans la région tient à la fragilité du gouvernement central, miné par les querelles, et plus résolu à s’accrocher au pouvoir qu’à les neutraliser.

Les shebab, littéralement « les jeunes » en arabe, sont à la tête d’une insurrection armée dans ce pays plongé dans le chaos depuis la chute de l’autocrate Siad Barre en 1991.

Au début des années 2010, ils étaient au summum de leur puissance, contrôlant plusieurs centres urbains et certains quartiers de Mogadiscio, pendant que le gouvernement soutenu par la communauté internationale s’accrochait à quelques pans de territoire dans la capitale.

Mais un an plus tard, en 2011, ils ont été chassés de Mogadiscio puis ont perdu l’essentiel de leurs bastions, sous la pression de la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom).

– ‘Cooptation et coercition’ –

Les insurgés ont enrayé ce déclin en maintenant leur contrôle sur de vastes zones rurales et une présence dans les villes grâce à un réseau de renseignement très développé, qui leur permet de mener des opérations de guérilla et des attentats-suicides.

« Ils obtiennent du soutien par l’intermédiaire de la cooptation et de la coercition. Leurs besoins financiers sont constamment satisfaits par un réseau de taxation et d’extorsion », souligne Murithi Mutiga, chercheur à l’International Crisis Group (ICG).

En novembre, un rapport d’experts de l’ONU sur la Somalie a conclu que le système de taxation de type « mafieux » des shebab leur permettait de générer des revenus même dans des zones qu’ils ne contrôlent pas, comme le port de Mogadiscio.

Signe de leur capacité à infiltrer les institutions, la femme kamikaze qui s’est fait exploser en juillet dans les locaux de la mairie de Mogadiscio, tuant le maire, était une employée travaillant sous une fausse identité, selon les experts onusiens.

Les shebab ont aussi commencé à fabriquer eux-mêmes leurs explosifs, ce qui explique que leurs attentats les plus meurtriers aient eu lieu ces dernières années, comme l’explosion en 2017 d’un camion piégé dans laquelle plus de 500 personnes ont péri à Mogadiscio.

Ils ont également réussi à étendre leurs opérations à des pays voisins, en particulier le Kenya, qui a subi plusieurs attaques dévastatrices en réponse à sa décision en 2011 d’envoyer des troupes en Somalie.

La plus récente, menée en janvier 2019 par des shebab d’origine kényane contre un complexe de Nairobi regroupant l’hôtel Dusit et des bureaux, a fait 21 morts.

Les 20.000 soldats de l’Amisom sont censés quitter le pays en 2021. Mais l’hétéroclite armée nationale somalienne, formée de manière dispersée par le Royaume-Uni, la Turquie et l’Union européenne, n’est pas en état de les remplacer.

– Pas une priorité gouvernementale –

« Nous ne voyons émerger aucune force de sécurité cohérente qui puisse s’opposer de manière crédible aux shebab, en particulier si les troupes de l’UA se retirent », remarque M. Bryden.

Mais pour lui, le principal frein dans le combat contre les shebab reste que celui-ci n’est pas une priorité du gouvernement central.

Les dirigeants somaliens sont plutôt engagés dans une lutte d’influence avec les États régionaux pour tenter de renforcer leurs chances d’être réélus, à l’approche d’élections législatives prévues en 2020 et présidentielle en 2021.

« Les Somaliens mènent cette guerre avec une main et peut-être un pied liés dans le dos », résume M. Bryden.

Selon lui, plus de policiers et soldats sont actuellement mobilisés pour sécuriser l’élection dans l’État du Galmudug (centre) que pour mener des offensives contre les shebab.

« Cela signifie que le gouvernement qui reçoit la vaste majorité du soutien et des ressources internationales pour combattre les shebab a, au mieux, fait de cette bataille sa seconde priorité », regrette-t-il.

Même si l’intensification des frappes aériennes décidée par le président américain, Donald Trump, a coûté la vie à plus de 800 personnes depuis avril 2017, les observateurs estiment que les islamistes continueront à causer des dégâts bien au-delà de 2020.

« Les shebab semblent terminer la décennie en aussi forte position qu’ils ont été ces dix dernières années », conclut M. Muthiga.

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