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Soudan: les familles de « martyrs de la révolution » réclament justice

"Les tueurs sont connus, on veut la justice", lance Samah Ahmed, 27 ans, la soeur de Tarek, tué le 21…

« Les tueurs sont connus, on veut la justice », lance Samah Ahmed, 27 ans, la soeur de Tarek, tué le 21 décembre 2018, au début de la contestation ayant provoqué quelques mois plus tard la destitution d’Omar el-Béchir, après trente ans de régime autoritaire au Soudan.

A 22 ans, Tarek était parmi les premiers à descendre dans la rue à Atbara (nord), berceau de la révolution, qui s’est ensuite étendue au reste du pays.

Au moins 177 personnes ont été tuées dans la répression du mouvement, selon Amnesty International, dont plus d’une centaine lors de la dispersion brutale d’un sit-in début juin à Khartoum. Un comité de médecins proches des manifestants évalue le bilan à plus de 250 victimes.

Un an après le début des manifestations, la famille de Tarek et celles de dizaines d’autres « martyrs de la révolution » continuent de réclamer justice, mais se heurtent à ce jour à l’immunité des forces de sécurité.

– « Prêts à témoigner » –

Au Soudan, les membres de l’armée, de la police et des services de renseignement disposent d’une immunité judiciaire. C’est également le cas des redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF).

Fin juillet, une enquête officielle a notamment conclu à l’implication de huit membres des RSF dans la répression sanglante du sit-in de Khartoum.

Mais, pour être jugés, leur immunité doit être levée, ce qui n’est possible que si les commandants des accusés l’autorisent, sur requête spécifique du parquet général.

Ce dernier a publié un communiqué jeudi, journée d’anniversaire du soulèvement, appelant les forces de sécurité à « retirer l’immunité plus vite », sans préciser si des requêtes de levée d’immunité leur avaient déjà été adressées.

Pourtant, la mère de Tarek, Naimat Abdel Wahab, l’assure: « ses amis qui étaient avec lui ont vu » qui avait tiré et « sont prêts à témoigner devant n’importe quel tribunal ».

Le 11 avril 2019, jour de la destitution de M. Béchir par l’armée, Mukhtar Abdallah, 28 ans, a été tué à Atbara, laissant derrière lui une veuve, Afaf Mahmoud, et leur petite fille née un mois après sa mort.

Ce jour-là, « les gens célébraient (la chute d’Omar el-Béchir) et nous voulions les rejoindre », se souvient la jeune femme, son bébé dans les bras.

Pendant la manifestation, le couple est séparé. Deux heures plus tard, la jeune femme appelle son mari, mais c’est un autre homme qui répond, lui apprenant la mort de Mukhtar.

« Avec le nouveau régime, nous attendons une justice rapide », dit la veuve, déplorant des « procédures lentes » malgré les preuves accumulées par les familles.

« Nous avons une vidéo montrant les gens qui ont tué Mukhtar », devant le siège des services de sécurité à Atbara, assure-t-elle.

Le gouvernement civil de transition, issu d’un accord signé en août entre la contestation et l’armée, a multiplié les mesures visant à démanteler l’ancien régime et répondre aux aspirations de la contestation.

En septembre, le nouveau Premier ministre, Abdallah Hamdok, a formé un comité chargé d’enquêter sur la répression du sit-in de Khartoum, qui doit présenter un rapport sous trois mois.

Mais certaines de ses figures restent présentes dans l’appareil d’Etat, comme le chef des RSF, Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemedti », membre du Conseil souverain, un organe formé de civils et de militaires chargé d’assurer la transition post-Béchir.

– « Rendre des comptes » –

Pour leur part, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), fer de lance de la contestation, ont fait de la question des « martyrs » une « priorité ».

« Les choses doivent se faire dans la transparence », a assuré à l’AFP Ibrahim Al-Amin, l’un des dirigeants de la contestation, ajoutant que « quiconque a commis un crime doit rendre des comptes ».

A l’appel des FLC, plusieurs manifestations ont eu lieu ces derniers mois dans différentes villes pour demander justice, en exigeant notamment la nomination de nouveaux hauts responsables judiciaires pour mener les enquêtes.

Car la nature du pouvoir actuel, divisé entre militaires et civils, est « une barrière à des enquêtes crédibles », argue Magdi el-Gizouli, analyste au Rift Institute.

Dimanche, un pas vers la justice a tout même été enregistré sur un autre dossier, celui de la guerre au Darfour (ouest) qui, à partir de 2003, a fait au moins 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU.

Le procureur général a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis au Darfour. Elle vise Omar el-Béchir et cinquante autres anciens dirigeants de son régime.

Visé de longue date par la Cour pénale internationale (CPI) sur ce conflit sanglant, l’ancien homme fort du Soudan a été condamné à deux ans en institution correctionnelle le 14 décembre pour corruption. Il pourrait aussi avoir à répondre de meurtres commis lors des manifestations antirégime.

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