Thiaroye, l’aube du sang : la mémoire retrouvée d’un massacre colonial

Le ciel de Dakar était encore noir, strié seulement des premières lueurs de l'aube, quand les détonations ont déchiré le…

Journal du Sénégal

Le ciel de Dakar était encore noir, strié seulement des premières lueurs de l’aube, quand les détonations ont déchiré le silence du camp de Thiaroye, ce 1er décembre 1944. Ce matin-là, ce ne sont pas des balles ennemies qui ont frappé, mais celles de l’armée française, la même pour laquelle ces hommes s’étaient battus. Entre 1 200 et 1 800 Tirailleurs, revenus des champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, tombaient sous les coups de 1 200 soldats et gendarmes coloniaux. Leur crime ? Réclamer le paiement de leur solde et des indemnités promises.

Près de quatre-vingt-un ans plus tard, lundi, le sol de Thiaroye vibre à nouveau sous les pas des dignitaires, mais aussi sous les pinceaux méticuleux des archéologues. Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye accueille son homologue gambien Adama Barrow pour une commémoration qui dépasse le seul souvenir. Elle est devenue, sous l’impulsion de Dakar, une quête acharnée de vérité, une exhumation littérale et symbolique d’une histoire trop longtemps ensevelie.

Lors d’un récent Conseil des ministres, le chef de l’État a été clair : il faut « rétablir la vérité » et « prendre toutes les dispositions pratiques » pour que cette mémoire ne s’efface plus. Un Comité de Commémoration, installé le 14 novembre, a un mandat précis : suivre les engagements de l’État, réhabiliter le site, diffuser un Livre Blanc et, surtout, inscrire cette page tragique dans les manuels scolaires.

Et la vérité, justement, refait surface, grain de sable par grain de sable. Les fouilles archéologiques menées sur place ont livré des résultats « extrêmement encourageants », selon le Pr Moustapha Fall, président de la sous-commission archéologie. Les découvertes sont aussi précises qu’accablantes.

La première révélation : les 34 tombes officielles, ce chiffre avancé pendant des décennies par l’administration coloniale pour minimiser l’horreur, seraient « une mise en scène ». Les archéologues ont confirmé l’existence de sépultures réelles, mais leur nombre et leur nature suggèrent une tragédie bien plus vaste et plus complexe. Ils ont découvert la présence de gradés parmi les victimes, identifiables par leurs insignes militaires, ainsi qu’un individu retrouvé… enchaîné. Pire encore, les analyses des sépultures révèlent « plusieurs types de pratiques d’enterrement », laissant entendre, selon les experts, « plusieurs types de massacre » – une violence méthodique et plurielle.

Ces hommes, étiquetés « Tirailleurs sénégalais », étaient pourtant les fils d’un empire colonial déchu. Ils venaient de 17 territoires africains, des terres qui sont aujourd’hui le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée, Madagascar, le Mali, le Niger, le Tchad et bien d’autres. Leur histoire est panafricaine, et leur mémoire le devient tout autant.

Le président Faye a transformé cette commémoration en projet structurant pour la nation et le continent. Cinq mesures stratégiques ont été annoncées : ériger un mémorial digne de ce nom à Thiaroye, créer un centre de documentation, baptiser rues et places, intégrer l’événement dans les programmes éducatifs et, marque forte, célébrer chaque 1er décembre une « Journée du Tirailleur ».

L’année dernière, la première édition officielle de cette journée avait déjà marqué les esprits, réunissant les présidents de Mauritanie, des Comores, de Gambie, de Guinée-Bissau et du Gabon. L’événement avait connu, selon les autorités, « un succès exceptionnel et un retentissement mondial ».

Aujourd’hui, alors que les derniers survivants ont disparu, c’est la terre elle-même qui témoigne. Chaque artefact exhumé – un bouton d’uniforme, un fragment d’os, une chaîne rouillée – est une parole contre l’oubli et le mensonge officiel. Le récit de Thiaroye n’est plus seulement une histoire à raconter ; c’est une preuve à exhiber, une mémoire à réparer.

La commémoration de ce lundi n’est donc pas un simple hommage. C’est l’acte II d’un long travail de justice mémorielle. Après l’aube sanglante de 1944, le Sénégal et ses partenaires africains ouvrent, pierre après pierre, preuve après preuve, une nouvelle journée dédiée à la lumière de la vérité.

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